Joute poétique | Felix, Suzy

Joute poétique 755 La joute orale improvisée et chantée en Méditerranée et au-delà L’imprévu dans les règles de l’art L’art de la joute improvisée, fille du moment et de l’instant, a aussi ceci de commun et universel : la performance prend tout son sens dans l’« ici et main- tenant » et sous l’égide d’un public. En d’autres termes, « au-delà d’un savoir-­ faire et d’un savoir-dire, la performance manifeste un savoir-être dans la durée et dans l’espace » (Zumthor, 1983, p. 149). Le terme générique repentizacion , d’ailleurs employé pour désigner la joute improvisée dans tout le monde hispa- nophone, et la terminologie utilisée à Cuba, au Brésil, repentismo , repentizacion , viennent du terme repente qui exprime le moment, l’immédiateté. Savoir improviser de repente (« soudain, soudainement ») dans n’importe quelle circonstance et sur tous les sujets imposés ou non par le public ou le jury, suppose un grand travail d’entraînement et de préparation mentale en amont. Toujours à l’affût de nouveaux mots, les poètes ne cessent de darle vueltas a las palabras (« faire tourner les mots en tête ») lors de leurs travaux quotidiens, qu’ils soient bergers dans le Liban Sud ou en Sardaigne, laboureurs dans les Alpujarras, dockers et agents de circulation à Murcia ou repentista (« poètes ») professionnels à Cuba. Qu’est-ce qu’une bonne improvisation ? Le public de connaisseurs sait recon- naître et apprécier les degrés d’improvisation et jugera le poète en fonction du respect des règles poétiques (nombre de syllabes, rimes, jeux poétiques), de l’à-propos par rapport au sujet imposé, de la portée du message, de la rapidité d’esprit et de sa façon d’être dans l’« ici et maintenant ». Selon Denis Laborde (2005, p. 23), « toute improvisation naît de la rencontre d’un improvisateur et d’une audience, rencontre où sont mis en commun des codes culturels partagés. Chacun se présente avec un vécu, un savoir-faire et des aspirations qu’il inves- tit dans cette coconstruction ». D’un point de vue poétique et musical, les improvisateurs utilisent des mélo- dies types et des formes poétiques issues du répertoire populaire local. Néanmoins, que ce soit le chant ateba (Liban), la guajira et le punto cubano (Cuba, Porto Rico), le fandango et la malagueña (Sud de l’Espagne), les structures poétiques et mélodiques de ces timbres ont en commun un caractère « improvisatoire ». La présence de couplets isomorphiques permet aux rivaux de s’affronter avec les mêmes contraintes poétiques et musicales. La présence d’un intermède instru- mental, dansé ou un refrain chanté en chœur entre les couplets laisse à chaque improvisateur un temps de réflexion précieux (qu’il écourtera ou élargira selon ses qualités d’improvisateur).

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