Jardin | Consalès, Jean Noël; El Faïz, Mohammed

Jardin 735 utile et jardin d’agrément et, d’autre part, de la distinction entre jardin et pay- sage. Selon Jean-Pierre Le Dantec, la première partition conduit à penser et à projeter le jardin, dénué d’une nécessaire utilité matérielle, comme une œuvre d’art à part entière. Cette mutation se traduit dans l’idée de « troisième nature », qui lui est associée par certains auteurs de la Renaissance italienne, en référence aux deux premières natures de Cicéron (Le Dantec, 2006a). La seconde parti- tion découle, selon Alain Roger, d’un processus d’artialisation (Roger, 1997). Fort des découvertes des règles de la perspective, l’art pictural induit un regard inédit sur les scènes d’extérieur et sur le pays. Il invente, par conséquent, le pay- sage. Ce dernier se démarque dès lors de l’idée de jardin. Empreinte de réfé- rences antiques, cette nouvelle esthétique édicte, par ailleurs, des règles de structuration de l’espace, fondées sur l’utilisation systématique de la perspective et sur des plans géométriques de plus en plus marqués. Si les jardins italiens du xvi e siècle (Boboli, jardins de la villa d’Este, etc.) intègrent ces règles de façon souple, en mêlant les courbes aux motifs symétriques dans les parterres de buis, ceux de la Renaissance française annoncent déjà l’extrême régularité de la période classique. Sous l’influence de Versailles et de ses jardins monumentaux, l’emploi de la ligne droite et de la perspective atteint très vite son apogée, consacrant ainsi le style français qui se diffuse partout en Europe, y compris en Méditerranée. Aujourd’hui encore, il est, par exemple, possible de visiter un jardin attribué à Le Nôtre au château de Castries, près de Montpellier, et de découvrir, en résumé, tout le vocabulaire du jardinisme classique, au cœur de cette région sèche : les axes soulignant les perspectives, les eaux mises en scène par des bas- sins et des fontaines, les parterres et les effets de surprise. Avec le style français, les formes géométriques, qui s’opposent à l’irrégularité naturelle (Le Dantec, 2006b), s’érigent comme les fondements d’un art des jardins qui ne se conçoit qu’en dialogue avec l’architecture. Il faut alors attendre l’essor du style anglais, au milieu du xviii e siècle, pour que ces règles s’étiolent et laissent place à des conceptions irrégulières et naturelles. En réalité, celles-ci imitent la nature bien plus qu’elles ne permettent ses expressions communes. Pensée à l’origine par la gentry, cette approche reproduit in situ , dans et par le jardin, une « composi- tion de paysages » (expression de René-Louis Girardin) et crée du pittoresque (Le Dantec, 2006b). Pour ce faire, elle ménage à grand renfort de travaux de terrassement, de plantation et de construction de fabriques, des points de vue et des perspectives variés, utilisant la courbe et le relief (Baridon, 1998). Passé l’opposition brutale de styles, les jardins à la française et à l’anglaise influencent, à partir du xix e siècle, des compositions mixtes ou des réinterprétations souples. Nombre de ces créations jardinistes naissent sur la Riviera, à la faveur du raffi- nement d’une aristocratie venue de toute l’Europe pour profiter des charmes de la Méditerranée. Cette bonne société fait alors appel aux plus grands paysagistes

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