Jardin | Consalès, Jean Noël; El Faïz, Mohammed

Jardin 731 permettent le développement et l’acclimatation d’une végétation abondante. À l’instar de l’agriculture, l’art des jardins en Méditerranée repose donc sur l’irrigation. Dans le jardin, cette indispensable maîtrise de l’eau donne lieu à de nombreux aménagements (fontaines, bassins, canaux, etc.) dont la portée est autant technique que symbolique. Dans ce contexte climatique particulier, cette nécessaire intervention de l’homme détermine une différence flagrante entre la nature sauvage rare et sèche, hors le jardin, et la nature cultivée luxuriante, dans le jardin. Sans doute cette distinction participe-t‑elle pleinement des considé- rations qui tendent à séparer nature et culture et à placer l’homme au centre de leurs relations. Loin d’être universel (Descola, 2005), ce fondement concep- tuel, hérité des philosophies antiques et des dogmes des trois grandes religions monothéistes, est fortement ancré en Méditerranée. Toute l’histoire de ses jar- dins en témoigne. Celle-ci est, en effet, empreinte d’une régularité renvoyant, selon Jean-Pierre Le Dantec, à « la perfection symbolique, d’essence métaphy- sique et spirituelle, par laquelle le jardin se distingue de la simple nature, voire s’oppose à elle » (2006c, p. 91). Depuis l’Antiquité, cette régularité se traduit par la géométrie des compositions « jardinistes » (Le Dantec, 1996) qui, moins qu’ailleurs, séparent l’utile, le productif et le nourricier de l’agrément et de l’or- nement (Jones, 2012). Si les jardins de l’Égypte ancienne se déterminent par leurs fonctions alimen- taires ou décoratives, en réalité « la frontière n’est jamais nette, et entre le fellah et le souverain, les dignitaires de tous ordres aménagent des créations hybrides. À ces deux types fondamentaux s’ajoutent les jardins funéraires et les jardins des temples » (Baridon, 1998, p. 98). Tous s’agencent selon une trame normée domi- née par un ou plusieurs bassins, grandes pièces d’eau rectangulaires autour des- quelles s’organisent des allées droites plantées de multiples végétaux. Ce modèle est transmis à la Grèce et à la Rome antiques qui, depuis l’élaboration de la pen- sée aristotélicienne, tendent à opposer nature et artifice, notamment à travers le prisme spatial du dualisme ville/campagne. Ainsi, dans la Grèce antique, bien que le terme polysémique de cité (polis) désigne, entre autres acceptions, le territoire composé à la fois de l’agglomération urbaine et de ses campagnes environnantes, dans la réalité, villes et campagnes s’affirment déjà comme des entités distinctes caractérisées par des fonctions, des modes de vie, des occupations spatiales et des systèmes économiques très différents (Consalès, 2000). Lieux de nature inti- mement liés à l’urbain, les jardins commencent à apparaître, dans ce contexte, comme des objets spatiaux singuliers. De fait, on ne connaît pas grand-chose des jardins grecs. Peu de traces subsistent. Tout juste sait-on que des espaces naturels périphériques, qui tiennent autant du parc que du gymnase en plein air, ont, à l’époque, un rôle prépondérant dans l’émancipation des idées et de la philosophie. Platon et Aristote enseignent, en effet, dans des domaines arborés

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