Interdits alimentaires | Bromberger, Christian

Interdits alimentaires 721 Interdits alimentaires Toute mise en forme culturelle du monde suppose une définition du comestible et toute société trace des frontières alimentaires avec ses voisines. Les doctrines religieuses contribuent à renforcer ces oppositions. Ce « séparatisme alimentaire » (Rodinson, 1965) est particulièrement patent sur les rives de la Méditerranée où se côtoient les trois religions du Livre. Alcool (prohibé par l’islam) et porc (prohibé par le judaïsme et l’islam) demeurent la base du triangle de différen- ciation entre juifs, musulmans et chrétiens. Le statut symbolique du sang est, à l’arrière-plan des comportements alimentaires, un puissant démarcateur. Les attitudes contrastées des juifs, des chrétiens et des musulmans forment, là encore, une sorte de triangle. En islam, le sang est conçu comme la substance impure par excellence que l’on doit expulser à tout prix et qu’il est impensable d’ingérer (la simple évocation d’un boudin sanguinolent peut susciter des haut-le-cœur) et dont l’équivalent métaphorique, le vin, est prohibé. Il s’agit d’un schéma rigou- reusement inverse de celui qui prévaut dans le christianisme : le miracle de Cana, la transformation, lors de la Cène, du vin en sang, l’absorption rituelle de ce sang lors de l’eucharistie ou encore la métamorphose du vin en eau pour effacer les péchés... sont des épisodes incroyables et répulsifs pour des musulmans. Et alors que, dans le judaïsme, le sang sacrificiel est destiné à Dieu (considéré comme le siège de la vie, sa consommation humaine est interdite), en islam seule l’in- tention de l’offrande lui est adressée, le sang ne pouvant être que la nourriture impie des génies maléfiques (les jnun ). Mais ces grandes divisions ne rendent pas compte des oppositions complé- mentaires entre écoles juridiques et courants religieux (ainsi, plusieurs Églises chrétiennes – chaldéenne, grecque, éthiopienne, adventiste du septième jour… – proscrivent la consommation du sang), des gradations des interdits, des dégoûts qui, çà et là, se substituent aux tabous ; les unes comme les autres invitent, par ailleurs, à s’interroger sur les raisons et les sens de ces prohibitions. Pour certains, tel M. Harris (1991), tenant du matérialisme culturel, les inter- dits seraient les résultats de choix rationnels et utilitaires. Le porc aurait été ainsi

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