Insularité | Bernardie-Tahir, Nathalie

Insularité 718 insulaires – néologisme inventé par Thomas More, issu du grec u-topos (« sans lieu, nulle part »). Depuis la description de la cité idéale imaginée par Platon dans La République , qui s’incarnera ensuite dans l’île de l’Atlantide, les utopies insulaires se multiplièrent dont certaines, comme La Cité du Soleil de Tommaso Campanella (1623) ou L’Île des esclaves de Marivaux (1725), prennent naissance en Méditerranée. Déclinée autour des quatre représentations de l’isolement, de l’immobilité, de l’imaginaire et de l’idéalité, l’« image initiale » de l’insularité méditerranéenne, pour reprendre la formule bachelardienne, s’est dès lors ancrée dans une altérité objectivée par l’apparente et évidente discontinuité marine. L’île affiche ainsi une différence paraissant d’autant plus légitime qu’elle se voit matérialisée par la barrière marine qui sépare celle-ci du continent. Tout est dès lors réuni pour faire de l’île un espace exotique et fascinant, cible favorite de l’imagerie publi- citaire en général et de la communication touristique en particulier. Car c’est bien à l’aune du formidable pouvoir onirique d’une insularité (re)construite qu’il convient de lire le succès et la spécificité du tourisme insulaire méditerranéen. Bien plus, l’altérité insulaire s’est à ce point essentialisée qu’elle nourrit un pro- cessus identitaire très actif dans nombre de sociétés îliennes. En Méditerranée, celles-ci affichent tout à la fois leur originalité et leur distinction par rapport aux espaces continentaux proches, surtout lorsqu’elles leur sont politiquement rat- tachées (îles grecques, Corse, Djerba, etc.). En Corse, l’émergence du riacquistu (« réappropriation » en corse) traduit très bien ce mouvement de réactivation ou de recréation d’une identité collective qui s’inscrit indiscutablement dans la volonté de se différencier d’un continent considéré comme néo-impérialiste. On retrouve des logiques similaires en Sardaigne et en Sicile où les revendications autonomistes du Partito sardo d’azione, de Sardigna Natzione Indipendentzia ou de Rinascita siciliana exaltent la spécificité insulaire pour justifier leur oppo- sition au pouvoir centralisateur de Rome. L’existence d’une identité insulaire spécifique et inaliénable semble dès lors aller de soi : c’est le sens même de la notion d’îléité, imaginée par AbrahamMoles puis reprise par un certain nombre de chercheurs en sciences sociales, correspon- dant à la dimension perceptive et discursive de l’insularité. En somme, l’îléité serait la déclinaison insulaire de l’identité territoriale, fondée sur un sentiment marqué d’appartenance et d’identification des insulaires à leur île. Elle acquiert dans certains cas une force et une légitimité telles qu’elle peut donner naissance à l’insularisme, consistant à instrumentaliser le sentiment identitaire pour justi- fier toutes sortes de revendications politiques. C’est à l’aune de cette dialectique qu’il convient notamment de comprendre le lobbying incessant que les acteurs politiques insulaires méditerranéens font auprès des instances européennes au nom de l’exceptionnalisme insulaire. Que ce soit dans le cadre de la commission

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