Insularité | Bernardie-Tahir, Nathalie

Insularité 717 en scène les fantaisies du temps insulaire. L’impression d’immutabilité, recher- chée ou subie, ressort dans des films comme Stromboli (1950), chef-d’œuvre de Roberto Rossellini, ou, plus récemment, Respiro (2003), d’Emanuele Crialese, deux films mettant en scène l’histoire de femmes oppressées, enfermées dans des îles méditerranéennes où le temps immobile, comme suspendu, se combine à l’exiguïté des lieux pour accroître la pesanteur sociale et produire un sentiment d’étouffement dévastateur. L’insularité méditerranéenne a également constitué un puissant réservoir d’imaginaire essentiellement fondé sur un effet de rupture avec le continent pro- duisant trois grands types de représentations fantasmagoriques. Certaines îles servent en effet de support à un imaginaire du passage dans le cadre de traver- sées picaresques et/ou initiatiques particulièrement bien retracées dans L’Odyssée d’Homère ou Les Voyages de Sindbad . C’est ainsi qu’il convient de lire les aven- tures de Sindbad le marin, fils d’un riche négociant de Bagdad dont il a dila- pidé la fortune, qui s’embarque pour sept voyages périlleux qui le mèneront d’île en île. Dans chacune d’entre elles, les hommes et la nature se présentent tour à tour comme sources des plus grands dangers et des plaisirs les plus subtils. Plus prosaïquement, notamment durant l’époque médiévale, l’épopée maritime est aussi celle des pirates, des corsaires ou des flibustiers qui font des îles des lieux idéaux pour tendre des embuscades aux navires (Rhodes, Majorque, Elbe, etc.), mais également des espaces de relâche, d’approvisionnement et de cache pour leur butin, une réalité historique qui a d’ailleurs abondamment inspiré l’uni- vers du cinéma. D’autres îles en revanche sont des lieux de destination finale où l’on peut rencontrer le bonheur et le plaisir : ce sont les îles au trésor, les îles des fées, voire les îles-paradis où l’on peut vivre de miraculeuses extases, à l’instar de la mythique île grecque de Cythère, véritable allégorie territoriale des plaisirs amoureux. D’autres enfin incarnent un imaginaire de l’effroi, de l’abominable et de l’enfer : ce sont les îles des monstres, des fantômes, îles maudites et damnées. À l’époque romaine, au moment où l’extension territoriale de l’empire est à son apogée, les îles méditerranéennes font globalement figure de mondes dont il faut se défier, de mondes dangereux parce que résistants à l’ordre romain, et perdent ainsi les valeurs idéales et positives héritées des temps héroïques. Enfin, l’insularité en Méditerranée s’est souvent parée d’idéalité, faisant de l’île un lieu dans lequel l’homme pourrait vivre de la façon la plus harmonieuse qu’il soit. La conception de l’île idéale, qui s’est particulièrement développée à partir de la Renaissance, s’inscrit dans une vision humaniste du monde où les hommes aspiraient à un monde meilleur, plus égalitaire. L’Ailleurs insulaire prend dès lors une autre signification, plus politique, voire idéologique : celle d’un lieu qui se différencie d’un continent englué dans l’arbitraire politique et les inégalités sociales. C’est dans ce contexte intellectuel que vont naître les utopies

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