Industrialisation | Chastagnaret, Gérard; Raveux, Olivier

Industrialisation 706 fabriquée, notamment à Marseille, d’abord avec le recours à des techniciens britanniques. Finalement, on vit surgir, tout au long du xix e siècle, sur l’en- semble de l’Europe méditerranéenne, des ensembles de systèmes techniques cohérents, dont le plus emblématique est celui de l’industrie des corps gras – huilerie et savonnerie – avec ses deux piliers : la vapeur et une main-d’œuvre bon marché et interchangeable, à l’exception de chefs d’atelier hautement qua- lifiés. Le système se montra si cohérent que les problèmes ne furent pas liés à des carences de fonctionnement, mais bien au contraire à un trop grand équi- libre prolongé par les flux successifs d’immigrants. Un équilibre qui masqua le décalage croissant avec les mutations techniques et commerciales du secteur et conduisit à l’agonie du milieu du xx e siècle. Un faux débat : développement et prospérités L’opposition entre un développement irréversible, parce que fondé sur des chan- gements qualitatifs que seule permet l’industrie, et les prospérités cycliques, donc temporaires et fragiles, que connaît le monde méditerranéen, a cessé depuis longtemps d’être pertinente. Dès 1970, Michel Morineau avait mis en garde contre les simplismes et les erreurs d’analyses liées à l’usage du concept de crois- sance. On l’a dit : la crise a révélé la fragilité des industries les plus établies, et des recherches ont fait apparaître la diversité des bases de la croissance dans les pays industriels par excellence : il n’y a pas de chemin unique, ni de chemin sûr pour la croissance. Dans ces conditions, l’exploitation d’opportunités, la diversité structurelle et sectorielle, la flexibilité des industries en Méditerranée ne sont plus des indicateurs de marginalité, mais des gages d’adaptation, des agents efficaces de progression générale des économies, aux côtés d’autres sec- teurs, en particulier l’agriculture d’exportation. De telles bases ne soutiennent pas des croissances linéaires, mais des cycles de prospérité alimentés d’éléments simultanés ou successifs, avec des éléments capables de survivre aux entreprises elles-mêmes : capacités d’initiative, en termes d’accumulation de capital ou de dispositions culturelles, apprentissages, réseaux personnels et commerciaux. L’effondrement des certitudes économiques a permis de reconnaître la vita- lité historique de l’industrie sur les rives nord de la Méditerranée, devenue un observatoire de la diversité des chemins de l’industrialisation et de la croissance. Même si la mondialisation a bouleversé les conditions de l’investissement et du fonctionnement des marchés, elle reste un terrain d’observation privilégié des voies pour sortir de la crise : conserve-t‑elle toujours une capacité d’initiative, d’attraction des possibilités et d’articulation d’espaces d’échelles très diverses ?

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