Industrialisation | Chastagnaret, Gérard; Raveux, Olivier

Industrialisation 707 En conclusion : trois pistes pour la réflexion La première est que la recherche sur l’histoire industrielle de la Méditerranée doit poursuivre son hygiène méthodologique, de libération des clichés encore en cours. Un seul exemple : l’opposition, encore souvent pratiquée par l’histoire régionale, entre l’initiative régionale et l’initiative extérieure, de plus en plus prégnante et qui aurait fait perdre aux autochtones le contrôle de leur économie. En réalité, le phénomène n’est pas nouveau, puisqu’on en trouve de multiples exemples dès le xix e siècle, notamment de la part d’ingénieurs britanniques dans la création de chantiers navals et d’usines liées à la métallurgie ou à la mécanique. Loin d’être un handicap, il a parfois permis de compenser les limites ou les carences des élites ou des marchés locaux et a pu servir de marchepied à un développement poursuivi par les entrepreneurs de la région. Symétriquement, la « dépossession » actuelle est sensiblement moins forte qu’il n’y paraît, les capitaux locaux étant souvent parties prenantes des grandes firmes de taille internationale, y compris dans le raffinage pétrolier. Le problème actuel est en fait plutôt inverse : il s’agit d’intégrer davan- tage l’espace méditerranéen dans la stratégie d’investissement des multinationales. Deuxième suggestion de recherche : les avatars de la mémoire industrielle, remarquablement conservée – ou retrouvée – à Barcelone, longtemps perdue ou presque, à Marseille, jusqu’aux efforts de ces dernières années. Au-delà de la crise industrielle, ces écarts, considérables, de rapport à l’histoire, sont eux-mêmes liés à plusieurs facteurs : l’existence ou non de supports de la mémoire, en particu- lier les ateliers et les usines. Ils peuvent rester visibles par la poursuite de l’ac- tivité ou une démarche patrimoniale. Ils peuvent aussi n’avoir jamais marqué le paysage par leur insertion dans le tissu urbain. Ils peuvent surtout avoir été détruits, notamment dans le cadre de la frénésie immobilière du dernier demi-­ siècle. À cela s’ajoute l’histoire démographique : une région de forte migration, comme Marseille, se prête mal à la transmission intergénérationnelle d’une mémoire industrielle. Reste enfin peut-être l’essentiel : la construction de l’iden- tité collective, locale ou régionale. Tandis que Barcelone et la Catalogne n’ont jamais cessé de revendiquer leur histoire industrielle, étendard d’une fierté iden- titaire en partie fondée sur la notion de modernité, à Marseille, c’est le port qui a été longtemps l’élément économique fort de l’identité locale, aussi bien pour les élites, les syndicats que pour les universitaires. Derrière cette opposition, pré- sentée trop schématiquement ici mais bien réelle, il peut y avoir un enjeu écono- mique lourd : l’opposition entre un volontarisme industriel enraciné dans l’histoire et un renoncement partiellement justifié par l’alibi de l’absence de tradition… Terminons sur la question d’un éventuel modèle méditerranéen d’industria- lisation, comme on a pu parler de modèle asiatique. Question apparemment

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