Ibn Khaldûn | Martinez-Gros, Gabriel

Ibn Khaldûn 651 Ibn Khaldûn (1332‑1406) « Parvenu à Batha, je pris à droite vers Mendâs et poursuivis jusqu’aux terres des Banou ‘Arîf, avant les monts Kouzoul […]. Ils m’installèrent à la Qala’a des Banou Salâma, dans le pays des Banou Toujin que le sultan de Tlemcen leur avait accordé en fief. J’y passai quatre ans (de 1375 à 1379), sans autre activité. C’est là que je commençai la rédaction de ce livre. J’en achevai l’introduction selon la manière originale et étrange qui me fut inspirée dans cette retraite. C’est un déluge de mots et de sens qui s’abattit sur ma pensée, et qui l’agita comme les douleurs d’un enfantement jusqu’à ce qu’il en sorte le plus pur et que je le jette sur le papier. » C’est en ces termes qu’Ibn Khaldûn, au soir ultime de son exis- tence, au Caire où il meurt en mars 1406, se souvient de la naissance de l’œuvre de sa vie, qu’il n’aura depuis cessé de méditer et de partager avec ses étudiants, ses protecteurs et même ses détracteurs. Il passe dans ces lignes rares le souffle d’une conversion religieuse, d’une retraite mystique, d’une inspiration divine, d’un engendrement prophétique, qui surprend le lecteur moderne d’un livre en apparence si libre du préjugé religieux qu’on a fait de son auteur l’un des esprits forts du Moyen Âge. Au moment où il « prend à droite » vers le pays de l’écriture et de l’enseigne- ment, Ibn Khaldûn a 43 ans, un âge avancé pour un homme de ce temps, et il a déjà vécu tous les désastres collectifs. Il voit le jour à Tunis, en 1332, dans une famille andalouse exilée par la Reconquista castillane – ses ancêtres yéménites s’étaient fixés à Séville au temps de la conquête arabe de la péninsule Ibérique. Malgré les trois ou quatre générations qui ont passé depuis l’exil, les Andalous de Fès ou de Tunis vivent encore en cercle fermé, certains de leur supériorité culturelle et nourris de leur nostalgie. Ils tiennent encore l’essentiel de l’enseigne- ment supérieur, et les hautes fonctions civiles de l’État, finances et chancellerie. Ibn Khaldûn est né patricien, d’une lignée illustre capable de pousser sa généa- logie jusqu’à un ancêtre compagnon du Prophète, à de lointains guerriers victo- rieux et, plus proches dans le temps, à d’éminents juristes et poètes. Sa voie aurait été tracée dans les allées du pouvoir si, en 1348, la peste ne s’était pas abattue

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