Homère | Pralon, Didier

Homère 642 péninsule d’Asie Mineure et la mer Égée ont été sillonnées, en effet, par maints peuples, auxquels ni les montagnes ni la mer ne faisaient obstacle. Dans ce monde bigarré, les hommes, tout aussi bien, commercent et se font la guerre, sans haine ni arrogance : les Achéens de l’ Iliade ne méprisent pas les Phrygiens de Troie et leurs alliés. Ils viennent venger l’affront fait à Ménélas par Pâris... et aussi, sans pudeur, piller les richesses de la cité opulente. Enfin, Homère a jeté les bases de la littérature gréco-latine d’abord, européenne ensuite. Dès l’époque archaïque grecque, ses pairs se sont posés face à lui : les « poètes cycliques » ont raconté les thèmes troyens délaissés par Homère (l’en- lèvement d’Hélène, le sac de Troie, les retours des héros, etc.), d’autres légendes (les Argonautiques, le cycle de Calydon, Héraclès, etc.) ; les élégiaques ont développé une poésie patriotique et parénétique, célébrant le nouveau citoyen, combattant ou festoyant (tel Archiloque, modèle du soldat miséreux et acariâtre) ; les lyriques ont inventé des formes plus libres, renouvelé les sujets (tel Stésichore qui imagine qu’Hélène n’est pas allée à Troie) ; les dramaturges eux-mêmes ont servi au festin du théâtre les « miettes d’Homère ». Les historiens ont voulu raconter les faits à leur manière : Hérodote prétend perpétuer la mémoire des affrontements entre les Grecs et les Barbares... à propos de femmes (préambule à l’Historia ). Thucydide oppose la véracité et la raison au mytheux séducteur, hérité d’Homère ( Guerre du Péloponnèse , I, 21‑22). Quand les Romains vainqueurs se sont mis à l’école des Grecs vaincus, l’ Odyssée , traduite dès le iii e siècle avant notre ère par Livius Andronicus, a été regardée comme le poème latin le plus ancien. Mille soixante-dix hexamètres d’une Iliade latine ont perpétué, durant le Moyen Âge occidental, la légende de Troie. À par- tir de la Renaissance et de l’ editio princeps des épopées homériques (Démétrios Chalcondyles, Florence, 1488), Homère est impliqué dans les querelles littéraires. S’il est édité, traduit, commenté et louangé, il est aussi daubé pour son ingénuité et sa monotonie supposées. Il est au centre de la seconde querelle des Anciens et des Modernes en France (1715). À l’orée du romantisme, F. A. Wolf ( Prolegomena ad Homerum , Halle, 1795) suppose que les poèmes homériques ont été composés sans l’aide de l’écriture et soulève la « question homérique » qui n’est pas encore close. Milman Parry (1928) enrôle Homère dans la cohorte des poètes oraux... Peu d’auteurs ont été autant que lui magnifiés ou, au contraire, dénigrés, au nord de la Méditerranée. Il ne semble pas avoir marqué la tradition littéraire au sud. Raymond Queneau (1962, p. 58) résume dans une boutade l’importance pour l’Europe littéraire de l’ Iliade et de l’ Odyssée : « Il y a une chose commune à ces deux œuvres, c’est qu’on y trouve à peu près toutes les techniques du roman. Il me semble qu’on n’en ait pas découvert beaucoup de nouvelles depuis. » Didier Pralon

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