Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 631 spécial de la revue Vingtième siècle , invitaient, à distance d’une unité du monde méditerranéen rêvée, mythique, ou tout simplement « postulée », à « interro- ger les différentes configurations prises selon les lieux et les périodes par cette entité géographique ». Les recherches ont connu, dans divers secteurs discipli- naires, une singulière intensification ces dernières années. De nombreux pays se sont dotés de centres d’études spécialisés, en relation avec une nouvelle cen- tralité et actualité de cette région, balayant un large spectre de préoccupations, de l’écologie et de l’« habitabilité » future de la Méditerranée aux crises poli- tiques, en passant par les risques patrimoniaux, les enjeux migratoires, religieux ou mémoriels. Ce mouvement a été encouragé par les programmes-cadres de recherche de l’Union européenne et par la Fondation européenne de la science. Les débats sur le « clash des civilisations » depuis la parution du livre de Samuel P. Huntington (1997), un intérêt croissant pour les interactions culturelles et les études comparées, ont aussi servi ce regain d’attention. En témoignent les textes réunis par Thierry Fabre et Robert Ilbert sous le titre Les Représentations de la Méditerranée (2000). Pour donner un bref aperçu des grandes tendances historiographiques des der- nières décennies, trois orientations majeures, qui ne sauraient dans le cadre réduit de cette notice rendre compte du foisonnement des recherches actuelles, peuvent être dégagées. Elles illustrent les façons dont s’écrit l’histoire de la Méditerranée dans les années 1990 et 2000. Elles prolongent et enrichissent, d’une certaine manière, le moment braudélien, dans la mesure où elles ne s’écartent guère de ses grandes orientations historiographiques et de ses questionnements majeurs. À côté de ces continuités, on décèle aussi des prises de distance, des renverse- ments de perspective, des réajustements et des révisions qui suscitent de nou- velles interrogations (Horden et Purcell, 2006 ; Piterberg et al ., 2010 ; Fusaro et al ., 2010). Les enquêtes quantitatives, qui avaient dominé dans l’histoire économique et commerciale des décennies précédentes, cèdent la place à l’his- toire des pratiques sociales et des interactions culturelles, avec une vive atten- tion portée aux îles comme Malte ou la Crète et aux réseaux interconnectés (par exemple, Trivellato, 2009). Les villes, considérées essentiellement comme des nœuds de communication par Braudel, comme les « témoins » d’une conjonc- ture qui les dépasse et à laquelle elles réagissent diversement, sont désormais conçues comme productrices de faits sociaux, de cultures et d’identités entre enra- cinement et mobilités. Si les études comparées restent encore limitées, on peut remarquer que le vaste programme collectif lancé en 1992 par Claude Nicolet sur les mégapoles (2000) a considérablement fécondé la recherche. Il a en effet donné lieu à divers prolongements, grâce à l’effort intellectuel qu’il avait suscité dans une perspective comparative à la fois géographique (étendue à l’ensemble de la Méditerranée) et chronologique (de l’Antiquité au xix e siècle), pour opérer

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