Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 630 archéologiques et le patrimoine antique, lumières, paysages et styles de vie, se trouve en quelque sorte réactivé et élargi dans les écrits historiques. En effet, c’est bien dans la littérature, dans les récits de Gabriel Audisio, de Jean Giono, de Carlo Levi ou de Lawrence Durrell, que Braudel engage son lecteur à retrou- ver les images les plus vives et les plus profondes de la Méditerranée, celles de « longue durée » (conclusion de la seconde édition). On retrouve sans doute, sous la plume de Braudel, l’héritage des productions savantes et des courants de pensée européens qui, à partir du xviii e siècle, et surtout au siècle suivant, ont permis de définir la Méditerranée comme un objet cohérent. Ainsi, les expé- ditions scientifiques, qui ont accompagné les campagnes militaires en Égypte (1798‑1799), en Morée (1829‑1831) et en Algérie (1839‑1854), ont contribué à une « invention savante », à savoir la « construction intellectuelle d’une représen- tation globale de l’espace méditerranéen » (Bourguet et al ., 1998). Au xix e siècle, les saint-simoniens ont rêvé d’une Méditerranée unie par les réseaux modernes de communication, un rêve de réconciliation entre l’Orient et l’Occident que nourrissent aussi des intellectuels dans les années 1930 (Temime, 2002). La pers- pective géo-historique est sensible dans les pages qu’Élisée Reclus consacre à la Méditerranée dans la Nouvelle Géographie universelle , en 1876 : la mer, vecteur de commerce et de navigation, est « ce grand agent médiateur » qui « met les peuples en rapport les uns avec les autres ». L’unité de la Méditerranée s’affirme encore avec la géographie humaine de l’école de Vidal de La Blache : l’homo­ généité du climat et du relief fonde la spécificité du paysage et du milieu. Aussi P. Horden et N. Purcell (2000) présentent-ils davantage Braudel comme un point d’arrivée que comme un point de départ, et son œuvre a pu être inter- prétée comme l’aboutissement d’une histoire des représentations scientifiques de la Méditerranée. Ces auteurs notaient que la Méditerranée de Braudel, en dépit de son succès et de son influence, semblait marquer la fin des études méditerranéennes plus que le commencement d’une nouvelle saison de réflexion sur cette mer qui, en tant qu’ensemble cohérent, attirait moins l’attention des historiens et des géographes. À une certaine désaffection pour les vastes synthèses historiques régionales, s’ajoutait la critique du « méditerranéisme » développée par certains anthropo- logues, comme Michael Herzfeld dans les années 1980, qui pouvait remettre en cause la validité de ce cadre d’étude : « le qualificatif réducteur de “méditer- ranéen” doterait l’hétérogène d’une homogénéité factice et serait le produit des représentations fantasmatiques de chercheurs venus du nord » (Albera, Blok et Bromberger, 2001, p. 12). Pourtant, les travaux conduits dans les années qui suivirent la publication de leur livre ne confirmèrent pas ce point de vue. Au contraire, on a assisté dans les années 1990 et 2000 à un intérêt croissant pour la Méditerranée. En 1991, Robert Ilbert et Gérard Chastagnaret, dans un numéro

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