Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 628 puissance évocatrice et synthétique. Il est le fruit d’une ampleur de vue excep- tionnelle, nourrie de la richesse des connaissances mises en œuvre, elles-mêmes fondées sur une masse considérable d’archives dispersées. La diversité, la multi- plicité et la complexité de la Méditerranée sont reconduites à une unité, celle de la mer, vecteur d’échanges et de contacts d’une extrême densité, qui favorise les circulations des hommes et des biens, matériels comme culturels. Mais si l’eau est « union, transport, échange, rapprochement », c’est grâce à l’activité inlassable des hommes : « ce n’est pas l’eau qui lie les régions de la Méditerranée, mais les peuples de la mer » (1966, I, p. 253). L’unité méditerranéenne est ainsi le résul- tat de l’entreprise poursuivie sans relâche par les hommes au fil du temps, sans cesse construite dans un monde de contraintes physiques. « À ce monde épais, composite et mal délimité […] on ne peut reconnaître d’autre unité que celle d’être une rencontre des hommes, un alliage d’histoires. Toutefois il est décisif qu’au cœur de cette unité humaine, sur un espace plus étroit qu’elle-même, joue une puissante unité physique, un climat unificateur des paysages et des genres de vie », écrit encore Braudel (1966, I, p. 211). Avant lui, d’autres historiens, comme Mikhail Rostovtzeff, historien de l’économie antique, ou Henri Pirenne, médiéviste, avaient abordé l’histoire de la Méditerranée en mettant l’accent sur les contacts humains que la mer avait favorisés, ce que Horden et Purcell appellent l’« approche interactionniste » (2000, p. 10). Braudel y ajoute la marque de l’en- vironnement physique, à la fois comme élément de définition de la région, et comme ensemble de contraintes limitant la liberté des circulations en son sein (Horden et Purcell, 2000, p. 37). Le cadre physique dans ses rapports avec l’his- toire, tel qu’il est posé dans la première partie, déborde amplement l’étude ciblée sur le xvi e siècle. Dans la conclusion de la seconde édition, Braudel remarquait que personne ne lui avait reproché cet essai géographique, cette part fondamen- tale de ressources et de difficultés que le milieu avait proposée à la construction humaine des civilisations. Sans doute plus que les autres développements, parfois plus controversés, cette partie a d’emblée élevé la Méditerranée au rang de réfé- rence. Aussi les lectures de Braudel ont-elles stimulé l’étude d’autres espaces géo- graphiques. D’autres « méditerranées » ont été inventées en référence à ce modèle. Par analogie, le nom propre est devenu nom commun, nourrissant à son tour de nombreuses études qui s’attachent génériquement à un ensemble maritime presque fermé, lieu d’établissement de divers États riverains, aisément reliés par des communications relativement rapides, interagissant durablement les uns avec les autres ; une zone d’échanges, de rencontres culturelles comme de conflits et de tensions. Denys Lombard a notamment emprunté cette voie pour analyser la « Méditerranée du Sud-Est asiatique » (1990). En histoire comme en géographie, mer des Caraïbes, mer de Chine méridionale et d’autres complexes maritimes offrent des terrains de comparaison sur la base d’un « modèle » construit à partir

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