Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 627 accéder directement aux épices par le cap de Bonne-Espérance, les vicissitudes des routes levantines, le rétablissement du commerce méditerranéen des épices au bénéfice de Venise au milieu du xvi e siècle, puis le déclin du commerce du Levant dans les premières décennies du xvii e siècle, lorsque les Hollandais s’impo- sèrent dans l’océan Indien ; la question du blé, liée à une faiblesse structurelle de la vie méditerranéenne, à savoir le besoin impérieux d’une denrée qui n’est jamais surabondante ; enfin, la pénétration des flottes atlantiques en Méditerranée. Au fil de ces développements les témoignages des contemporains surgissent, les ambitions et la politique des États se font jour, alors que les marchés, les grands flux, les aléas démographiques, les cycles économiques échappent en large par- tie à l’action et à la puissance des hommes. La vie politique, sociale et culturelle de la Méditerranée prend place à la fin de cette deuxième partie, avec la montée des empires, les transferts culturels, les confrontations et les conflits de « civilisa­ tion à civilisation », les rayonnements artistiques, les formes de la guerre… La troisième partie, « Les événements, la politique et les hommes », n’apparaît que comme une concession aux brèves et nerveuses oscillations des vies et des faits, indispensable dans un projet d’histoire totale, mais dont la portée reste limitée pour comprendre l’histoire profonde de la Méditerranée : « J’ai beaucoup hésité à publier cette troisième partie sous le signe des événements, écrit Braudel ; elle se rattache à une histoire franchement traditionnelle […]. Il est vrai, cependant, qu’une histoire globale ne peut se réduire à la seule étude des structures stables, ou des évolutions lentes. Ces cadres permanents, ces sociétés conservatrices, ces économies prisonnières d’impossibilités, ces civilisations à l’épreuve des siècles, toutes ces façons licites de cerner une histoire en profondeur donnent, à mon avis, l’essentiel du passé des hommes, du moins, ce qu’il nous plaît, aujourd’hui, en 1966, de considérer comme l’essentiel. Mais cet essentiel n’est pas totalité. » (1966, II, p. 223.) Il ne cache pas ses réticences vis-à-vis de cette « agitation de surface », « la plus passionnante, la plus riche en humanités, la plus dangereuse aussi ». Son tempérament le porte à adhérer à un certain structuralisme, et à se méfier de « cette histoire brûlante encore, telle que les contemporains l’ont sen- tie, décrite, vécue, au rythme de leur vie, brève comme la nôtre. Elle a la dimen- sion de leurs colères, de leurs rêves et de leurs illusions » (Préface, 1946). Les éditions suivantes n’apportent que quelques modifications de détails. Mais dans les années 1970, l’ouvrage connaît une large diffusion internationale grâce à de nombreuses traductions : en anglais, d’abord, en 1972, puis en espagnol, alle- mand, portugais, polonais, turc, italien, et ensuite en serbo-croate, chinois, hon- grois, coréen, russe, bulgare… La vision braudélienne de la Méditerranée gagne en outre le grand public avec la série télévisée lancée en 1976. Le résumé qui précède ne saurait rendre raison de la somme impressionnante que représente ce livre dans son ambition maîtrisée d’histoire globale, ni de sa

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