Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 626 inspirer plusieurs générations d’historiens jusque dans les années 1970. En ce sens, l’objet Méditerranée a joué un rôle important dans l’évolution même de la discipline historique et de ses méthodes. Avec ce livre, dont Braudel donne quatre éditions (1949, 1966, 1976, 1979), la Méditerranée devient un « objet », un « domaine » de l’histoire, défini dans des termes dont l’héritage reste puissant pour toutes les périodes de l’his- toire (Zwierlein, 2015). La seconde édition, celle de 1966, est en fait une ver- sion considérablement remise à jour, qui intègre les apports des recherches conduites par Braudel après-guerre dans les archives – en Italie surtout, mais aussi à Simancas, Paris, Vienne, Londres, Cracovie, Varsovie –, comme ceux des nom- breux historiens qui s’étaient lancés, dans son sillage, dans de nouvelles études sur cette région. Mais ni la structure du livre, ni sa signification profonde, ni la vision générale donnée de la Méditerranée ne s’en trouvent modifiées. Comme l’indique Braudel lui-même dans la préface datée de 1963, sa Méditerranée , est « le fruit direct » de la première saison des Annales de Marc Bloch et de Lucien Febvre. L’ouvrage s’inscrit pleinement dans le contexte d’une nouvelle histoire qui prend ses distances avec les événements politiques et militaires, avec leurs grands protagonistes, pour s’attacher aux destins collectifs, aux cycles de l’économie et aux structures sociales. Braudel, et c’est sans doute là un socle majeur de l’entre- prise, a retenu les enseignements des géographes de la Sorbonne. « La dialectique espace-temps (histoire-géographie) » (Préface, 1963), placée au cœur du projet, le conduit à donner un poids considérable à « la part du milieu » (première partie), aux découpages des cinq péninsules (Italie, Balkans, Asie Mineure, Afrique du Nord, péninsule Ibérique) en montagnes et en plaines, à ces terres qui enserrent la mer, ou plutôt un « complexe de mers ». La géologie, le climat, les îles, les routes qui relient le désert au sud, l’Europe au nord, dessinent à la fois la diversité des visages de la Méditerranée et son unité physique (le climat, en particulier, uni- fie les paysages et les modes de vie) comme son unité humaine (les routes, l’art de naviguer et les villes). Braudel utilise la géographie pour élaborer une vision où domine une « histoire quasi immobile », faite de permanences, de lenteurs et de répétitions, « une histoire sous-jacente plutôt silencieuse, à coup sûr discrète, presque insoupçonnée de ses témoins et de ses acteurs et qui se maintient, vaille que vaille, contre l’usure obstinée du temps » (Préface, 1963). La deuxième par- tie, « Destins collectifs et mouvements d’ensemble », est consacrée à une histoire sociale de la Méditerranée, solidement arrimée à l’économie, qui continue de faire la meilleure part aux rythmes lents : les structures et les conjonctures qui scandent la vie économique, les pesées démographiques, le rôle des métaux pré- cieux et le mouvement des prix. Le commerce méditerranéen est saisi à travers trois problèmes « qui impliquent toutes les dimensions de la vie économique de la mer » (1966, I, p. 493) : la « crise du poivre » lorsque les Portugais purent

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