Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 625 Lucien Febvre, fondateur de l’école des Annales en 1929, auteur d’une thèse publiée en 1911 sur Philippe II et la Franche-Comté , avec lequel il entretient une correspondance nourrie avant de le rencontrer en 1937, Braudel trans- forme son approche. Il abandonne le questionnement traditionnel d’histoire diplomatique initial et sort des cadres classiques de l’histoire politique pour se demander « si la Méditerranée n’avait pas eu […] son histoire propre, son des- tin, sa vie puissante et si cette vie ne méritait pas autre chose que le rôle d’une toile de fond pittoresque » (Préface, 1946). L’espace maritime devient alors cen- tral. La Méditerranée elle-même est considérée par Braudel comme un « per- sonnage » historique, « complexe, encombrant, hors série ». Au moment où se développe une nouvelle histoire qui se démarque radicalement des études aca- démiques, avant tout attentives aux faits politiques, militaires ou diplomatiques, pour traiter de l’économie et des groupes sociaux, Braudel donne le primat au temps long du milieu géographique, aux grands flux, aux conjonctures, aux pesées quantitatives à travers l’étude de la répartition des hommes, des routes commerciales, des trafics… Pour satisfaire l’ambition de « saisir la Méditerranée dans sa masse complexe », il fallait se tourner radicalement vers l’histoire écono- mique et sociale, c’est-à-dire « essayer de bâtir l’histoire, écrit-il, autrement que nos maîtres l’enseignaient » (Préface, 1946). En outre, cette histoire de la Méditerranée n’aurait sans doute pas vu le jour sans quelques circonstances particulières de la vie de son auteur. Le séjour en Algérie, où Braudel enseigne à Constantine puis à Alger jusqu’en 1932, a joué un rôle essentiel dans sa perception de la mer Intérieure. La préface de 1946 s’ouvre par cette déclaration, souvent citée : « J’ai passionnément aimé la Méditerranée, sans doute parce que venu du Nord, comme tant d’autres, après tant d’autres. » Aussi Braudel invite-t‑il le lecteur à convoquer ses propres sou- venirs, ses propres visions, pour l’« aider à recréer cette vaste présence », car « la mer, telle qu’on peut la voir et l’aimer, reste le plus grand document qui soit sur sa vie passée ». Mobilisé à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Braudel rédige sa thèse en captivité en Allemagne, entre 1940 et 1945, éloigné de ses notes et documents conservés à Paris. Il la soutient le 1 er mars 1947 et la publie en 1949. Le plan finalement retenu pour l’ouvrage a une portée qui dépasse de beaucoup la seule historiographie de la Méditerranée. En effet, Braudel y met en œuvre une conception de l’histoire fondée sur « une décomposition en plans étagés », selon trois temporalités, avec « la distinction […] d’un temps géogra- phique, d’un temps social, d’un temps individuel » (Préface, 1946). Il y affirme le primat de la longue durée : « dans l’explication historique telle que je la vois, écrit-il, […] c’est toujours le temps long qui finit par l’emporter ». Il ouvre les frontières entre les disciplines en mobilisant les apports de la géographie, de l’économie et de l’anthropologie. Cette nouvelle façon d’écrire l’histoire va

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