Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 636 La crise du monde méditerranéen est reconduite à la peste du vi e siècle, avant les conquêtes arabes. Et surtout, « la conception d’une histoire basée sur les pro- cessus de déclin et de rupture a cédé la place à une thématique insistant sur la reconnaissance des changements inscrits dans la longue durée, en particulier à partir de l’histoire culturelle » (Picard, 2005, p. XXXIII). Reconnaissances réciproques entre rivaux et régulations de la violence, contacts culturels, néces- saires pour le commerce, permettent la reconstruction sur de nouvelles bases des réseaux et des relations entre les différentes parties de la Méditerranée. « L’adaptation des sociétés méditerranéennes à une conjoncture marquée par la permanence de l’état de guerre est l’une des clefs de l’évolution de la Méditerranée médiévale. » (Balard et Picard, 2014, p. 272.) L’affirmation de la domination latine sur le bassin occidental à partir du xiii e siècle n’élimine pas les guerres et les rivalités constantes, ni plus tard l’affirmation des empires sur les rivages de la mer Intérieure, mais des liens multiples n’en relient pas moins incessamment les différentes régions de la Méditerranée tout comme les chrétiens et les musul- mans. Il en ressort l’image d’une Méditerranée conflictuelle certes, mais où les différents contextes d’adversité, de la guerre de course aux guerres coloniales, entraînent aussi des circulations, des expérimentations dans la connaissance des sociétés autres, des interrelations et des imbrications, voire des codépendances. Par exemple, le renouveau des recherches sur l’esclavage en Méditerranée a mon- tré l’ampleur du phénomène et les conséquences économiques, sociales et cultu- relles de la présence des captifs, de part et d’autre. En outre, même dans l’affrontement, les relations commerciales et les intérêts économiques trouvent leur voie, et débouchent sur l’élaboration de droits, de codes et d’usages parta- gés. Enfin, grâce à une exploitation équilibrée de sources occidentales et turques, des études ont montré, par exemple, qu’en dépit des différences religieuses il y avait bien des similitudes entre la Crète vénitienne et ottomane, alors que l’historiographie européenne classique voyait traditionnellement dans la conquête ottomane de cette île, dans le dernier tiers du xvii e siècle, une nette rupture culturelle (Greene, 2000). Les nouvelles approches historiques de la Méditerranée cherchent à surmon- ter les apories des interprétations réductrices et des images contradictoires de la Méditerranée, entre unité et fragmentation, rapprochement et hostilité, cohé- rence et désagrégation. À distance des anciens clichés, qu’il s’agisse du mythe méditerranéiste de la continuité des sociétés et des cultures dans l’ensemble du bassin ou de la thèse de la fracture irrémédiable et de l’affrontement entre aires civilisationnelles, les circulations et les transferts culturels, les modalités de diffu- sion des idées, des techniques ou des textes, les formes complexes d’hybridation, de mixité, donnent lieu à des études qui mettent en discussion les grands mono- lithes culturels traditionnels, Chrétienté et Islam, Europe et Moyen-Orient, ou

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