Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 635 des études les plus nourries. Dans ce domaine, deux interprétations antagonistes dominent traditionnellement le champ et irriguent encore largement l’historio­ graphie actuelle : à la Méditerranée espace d’échanges, sillonnée de bateaux, aire de coexistences et de convergences culturelles, s’oppose une vision plus noire, une histoire conflictuelle solidement établie, des croisades aux colonisations, qui emphatise la notion de frontière et les affrontements entre Chrétienté et Islam. Pour en saisir le socle, il convient de revenir sur la thèse d’Henri Pirenne (1862‑1935). Les nombreux débats et critiques qu’elle a suscités ont eu un grand impact sur la vision des historiens européens sur cette mer. D’abord dans un article paru dans la Revue belge de philologie et d’histoire (1922‑1923), puis dans l’ouvrage Mahomet et Charlemagne (1936), l’historien étudie, à partir d’une approche économique, le passage de l’Empire romain, cette unité politique et économique du monde méditerranéen, à la Méditerranée fracturée du Moyen Âge. Selon lui, les structures de la romanité tardive se seraient conservées lors des invasions germaniques (v e -vii e siècles) qui provoquèrent la chute de la partie occidentale de l’Empire romain, des relations encore denses se nouant entre l’Empire byzantin et les royaumes germaniques de l’Ouest jusqu’au vii e siècle. La rupture entre Orient et Occident méditerranéen ne serait inter- venue qu’avec la conquête arabe : « Avec l’Islam, c’est un nouveau monde qui s’introduit sur ces rivages méditerranéens où Rome avait répandu le syncré- tisme de sa civilisation. Une déchirure se fait qui durera jusqu’à nos jours. Aux bords de Mare Nostrum s’étendent désormais deux civilisations différentes et hostiles. […] La mer qui avait été jusque-là le centre de la Chrétienté en devient la frontière. L’unité méditerranéenne est brisée » (p. 111). La Méditerranée devient, pour une large part, un « lac musulman » imposant le repli de l’Europe, coupée du commerce maritime, sur son versant nordique où se construit l’em- pire carolingien au ix e siècle. La fin de l’unité méditerranéenne, fondée sur une communauté de croyances, de mœurs et d’idées qui aurait persisté après les invasions barbares, aurait entraîné le déclin du négoce, miné par l’insécurité des mers et la piraterie des musulmans. Ce point de vue a été débattu, notam- ment par Maurice Lombard qui, dans un article des Annales écrit en 1947 et plusieurs fois réédité depuis, toujours sur des bases économiques, place la crise à l’époque des invasions barbares tandis qu’un nouveau dynamisme éco- nomique marque le ix e siècle, précisément grâce à l’installation arabe sur les rives orientale et méridionale. L’historiographie médiévale de la Méditerranée a été profondément marquée par cette perspective d’affrontements, à partir des divisions de l’Empire romain entre les Musulmans (au sud et à l’est), Byzance (nord-est) et les Latins (nord-ouest) jusqu’à la chute de Constantinople en 1453. Les recherches de ces dernières décennies, l’exploitation de données archéologiques et archivistiques nouvelles, ont fait évoluer nos connaissances.

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