Historiographie | Marin, Brigitte

Historiographie 632 une comparaison « à distance » de villes éloignées, dans l’espace comme dans le temps. Enfin, l’histoire de la Méditerranée est loin de s’arrêter avec son déclin économique à l’échelle mondiale face à l’affirmation du monde atlantique. La relance du xix e siècle avec l’ouverture du canal de Suez, la formation, de Beyrouth à Alger, de sociétés urbaines et portuaires cosmopolites, points de rencontre entre l’Empire ottoman et l’expansion européenne, l’époque coloniale et le temps des nationalismes ont suscité une foison d’ouvrages notables. Une question, qu’il serait vain de tenter d’éclaircir ici, reste assurément encore à approfondir, car elle a été marginalisée dans le cadre historiographique tracé par les études brau- déliennes : celle de l’interprétation historique et des usages de la Méditerranée antique. L’humanisme et la Renaissance ont certainement joué un rôle impor- tant dans la construction d’un discours qui trace une filiation entre une unité culturelle fondée sur l’Antiquité gréco-latine et la civilisation européenne, une construction identitaire qui se poursuit dans l’Europe des nations. Cette vision a occulté, ou plutôt drastiquement redimensionné, les apports orientaux, pourtant essentiels, à la culture méditerranéenne, et les transmissions d’est en ouest, ce qui renvoie à une histoire complexe de l’idée même de Méditerranée, à la déclinai- son des appartenances qui s’y rapportent, et à leurs usages politiques et culturels. Revenons aux trois grandes tendances des études des deux dernières décennies évoquées plus haut. En premier lieu, il faut souligner le développement d’une histoire qui accorde une importance déterminante aux facteurs géographiques et environnementaux. Pour P. Horden et N. Purcell, dans The Corrupting Sea , la Méditerranée est composée d’une infinité de microrégions d’une extrême diversité, tant les hommes ont apporté de réponses différentes aux données environnementales, en façonnant leurs territoires en fonction des relations de complémentarité de leurs milieux écologiques avec les terres environnantes. Ainsi, les échanges incessants, la mobilité des hommes et de leurs ressources, ont créé des réseaux d’une grande densité qui ont assuré l’unité et la cohérence de l’aire méditerranéenne, surtout étudiée dans cet ouvrage pour les périodes antique et médiévale. Le continuum écologique et anthropologique que représente la Méditerranée s’établit grâce à une formidable « connectivité », concept utilisé par les auteurs pour décrire les interrelations constantes entre des espaces frag- mentés et très variés, assurées par une pratique de très longue durée du cabo- tage, mais aussi d’une myriade d’autres voies de communication. Peu de place est ici donnée aux guerres, aux confrontations, aux fractures, qui marquent for- tement, à l’inverse, un autre type de production historique récente. Plus récem- ment, un spécialiste d’histoire rurale, Faruk Tabak (2007), toujours dans le cadre d’une conception unitaire de la Méditerranée, a proposé une analyse globale de cet espace sur trois siècles (1550‑1870) et une interprétation de son déclin aux xviii e et xix e siècles par rapport au monde atlantique, en mettant en relation les

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