Harraga | Charef, Mohamed

Harraga 621 Cette « aventure » commence avant le départ, lors de la préparation du « voyage » qui peut durer des mois, voire des années, avant de passer ou ne pas passer à l’acte ; il y a une dimension d’incertitude prégnante dans le projet migra- toire. Mais il faut également faire preuve de beaucoup de diplomatie et d’ingé- niosité pour tisser un réseau relationnel mobilisable et promoteur de savoir-faire nécessaire pour une telle aventure qui ne peut s’improviser. Le migrant agit ainsi en acteur de son propre projet, qu’il structure autour de la recherche d’une mobi- lité à la fois spatiale et sociale, espérant ainsi une transformation existentielle positive. Le projet migratoire se construit au fil des conseils, des rencontres, des lectures, d’écoute des médias, des chaînes satellitaires, etc. Il n’est jamais figé, il se déconstruit et se reconstruit, tout au long de l’itinéraire, en fonction des compagnons de route et des occasions de rencontres. La plupart des candidats disent avoir modifié le trajet, voire changé de destination à la suite d’une ren- contre, heureuse, mais hélas parfois malheureuse – par exemple vol d’argent ou expulsion. Fréquemment, c’est aux points nodaux que les itinéraires changent, comme c’est le cas à Agadès. Parfois, il suffit de trouver un camion en partance pour une direction ou une autre, avec un prix raisonnable, des informations ras- surantes sur le parcours, des postes-frontières moins regardants, une conjonc- ture politique favorable, pour se diriger vers l’Algérie, puis le Maroc ou prendre plutôt la direction de la Libye. C’est une activité qui nécessite des « faiseurs de frontières », comme le pas- seur qui est devenu une figure emblématique depuis l’évolution quantitative exponentielle des départs et des arrestations, avec les épisodes dramatiques relatés par la presse, et pour lesquels certains d’entre eux, actifs ou simplement « organisateurs de voyages », ont été appréhendés et condamnés. Cependant, il faut signaler que de nombreuses personnes collaborent aux tâches desti- nées à faciliter le passage des frontières aux émigrants et ne font pas partie, pour autant, de réseaux criminels. C’est le cas des populations voisines de la frontière, qui apportent parfois un soutien circonstanciel aux émigrants dits « clandestins ». Quoi qu’il en soit, un phénomène aussi récent, multiforme et problématique que celui de la migration clandestine ne saurait valablement prétendre être totale- ment circonscrit. Ne serait-ce qu’au regard de son évolution diachronique (tem- porelle) et syntagmatique (dans l’espace). Cependant, les autorités européennes expriment leur émotion et leur tristesse chaque fois que des bateaux d’immi- grants chavirent en Méditerranée, au prix de nombreuses vies, tout en incitant les pays de transit à jouer le rôle de gendarme. L’Union européenne ne cesse de presser les pays de la rive sud à consentir davantage d’efforts pour décourager, freiner et juguler les flux de clandestins. En échange, elle offre une contribution financière et logistique.

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