Harraga | Charef, Mohamed

Harraga 617 Samba laakhara , c’est-à-dire « samba qui va vers l’au-delà », ou Barça ou Barsakh , c’est-à-dire « Barcelone ou la Mort ». D’autres harragas scandent leur rage et ire avec éclat : « plutôt la mort que la honte », ou « il vaut mieux les requins que les Marocains », etc. Il y a le recours à un vocabulaire de terroir pour décrire le phé- nomène et pour cerner le profil des acteurs. Au Maghreb, les termes employés sont des mots du parler local comme h’rig (acteurs des traversées périlleuses dans la Méditerranée occidentale) pour analyser l’action ou l’acte, et il se décline en h’rga pour décrire le phénomène, harragas pour désigner les acteurs. L’expression métaphorique, qui qualifie le clandestin de harrag ou « brûleur », entend sou- ligner le geste symbolique de celui qui rompt de manière brutale et supposée irréversible avec le point d’origine. C’est connu, l’interdit suscite le désir de trans- gresser, mais le passage à l’acte suppose beaucoup de volonté et de courage, d’où le choix du surnom de h’rag (forme impérative), à savoir « brûle ». L’emploi du terme l’hrig ou « brûler » évoque l’action d’enfreindre sciemment l’interdit et le geste de braver l’autre, par une forme d’anéantissement par le feu qui en est la racine. « Tenter de s’immoler » ou mettre le feu à son corps a été utilisé fréquem- ment lors du « printemps démocratique » ou du « printemps arabe ». D’ailleurs, au Maghreb, on considère le fait de ne pas s’arrêter au feu rouge comme une action de le « brûler » au lieu de le « griller ». C’est aussi, le plus souvent, « celui qui brûle » tout document administratif pouvant permettre aux autorités par la suite, en cas d’interception, de l’identi- fier en vue de procéder à son refoulement. Ainsi, les candidats à l’immigration « brûlent » les frontières, tout en cherchant à « brûler » leur passé ; le geste est surprenant, mais peut-être pas aussi fou qu’il y paraît ; il permet de brouiller les pistes et de s’insurger contre l’« assignation à résidence » dont ils s’estiment victimes, c’est une forme d’indignation. C’est aussi la preuve d’une certaine audace face à l’inacceptable ou à la résignation, une démarche entêtée et obs- tinée pour couper court au risque de toute tentation d’annuler ou de renon- cer au projet de traverser la Méditerranée. Mais il reste vrai qu’il y a une forme de défi morbide ; c’est courir des risques inconsidérés pouvant aller jusqu’à la mort, lors d’un naufrage, sans être suicidaire pour autant ; autrement dit, c’est « partir ou mourir ». De ce fait, ce mot est devenu un étendard par référence à l’épopée et au geste héroïque de Târik ibn Ziyâd, qui occupe une place impor- tante dans la conquête musulmane de l’Espagne ; il aurait fait brûler ses bateaux en s’adressant à son armée : « Oh ! gens ! Où est l’échappatoire ? La mer est derrière vous et l’ennemi est devant vous, et vous n’avez, par Dieu, que la sin- cérité et la patience. » Comme on peut s’en douter aisément, les candidats à l’émigration proviennent en partie de régions limitrophes pour certains et pour d’autres de pays plus éloi- gnés, mais toujours inscrits dans cette longitude cartographique que confère un

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