Goitein, Shelomo Dov | Perta, Giuseppe

605 Goitein, Shelomo Dov Toutefois, la région méditerranéenne apparaît divisée en trois grands secteurs : l’Orient, c’est-à-dire l’Égypte et les pays musulmans jusqu’à l’Asie Mineure ; l’Occident musulman, du Maghreb à l’Andalousie jusqu’à la Sicile ; et la « terre des Romains », le monde chrétien dans son ensemble, à la fois dans sa partie européenne et dans sa partie byzantine. Les documents décrivent les routes mari- times, les méthodes de change, les prix et la typologie des marchandises. Fustât était visité régulièrement par les juifs des autres régions de la Méditerranée, et ses marchands ambulants gagnaient aussi l’Inde, le Yémen, la Sicile, la Tunisie et bien d’autres rives, apportant des informations précieuses sur le déroule- ment des métiers commerciaux et financiers. Goitein applique au peuple de la Genizah la définition de free trade community , concept qu’on pourrait adapter à la société marchande méditerranéenne dans son ensemble, parce que les inter- relations continuaient même dans les moments d’hostilité ouverte entre chris- tianisme et islam. Horden et Purcell (2000, p. 35), qui ont identifié en Goitein un des quatre grands historiens de la Méditerranée, à côté de Braudel, Pirenne et Rostovtzeff, soulignent : « It is hard not to sense in his work a humane apprecia- tion of the power of commerce to dissolve the deepest political or religious divisions. » Carrefour de traditions culturelles à certains égards lointaines, la Méditerranée de Goitein apparaît comme un environnement tendanciellement unitif même s’il n’est pas unitaire. Comme Fernand Braudel – et, à certains égards, Henri Pirenne –, Goitein a conçu la Méditerranée comme sujet historiographique indé- pendant. On doit toutefois constater que les perspectives des deux historiens, décédés la même année, sont différentes. Même si dans leur vie ils ont beaucoup voyagé, la nature de la documentation qu’ils analysent révèle comment Braudel regarde la Méditerranée à partir de la rive nord, tandis que Goitein la considère à partir de la rive sud. Les deux adoptent une perspective de longue durée et beau- coup de leurs conclusions peuvent être adaptées à l’histoire de la Méditerranée tout court. Mais Braudel a travaillé surtout sur les sources de l’époque moderne, Goitein principalement sur le Moyen Âge. Le premier a mis particulièrement l’accent sur l’influence de l’environnement dans le développement de l’histoire, tandis que le second s’est penché sur le rôle des individualités. Braudel ne men- tionne jamais Goitein et ce dernier avoua qu’il avait lu La Méditerranée en 1972, quand le livre fut disponible en version anglaise. Le travail de Goitein combine, en définitive, l’histoire de longue durée avec l’histoire événementielle, lorsqu’il s’attarde à détailler la vie quotidienne de la communauté juive de Fustât – caractérisée par une forte cohésion –, qui tou- tefois dépasse la dimension locale si l’on considère ses relations constantes avec la communauté juive en général, et avec le monde musulman. La synagogue était le centre civil et religieux de la communauté, mais les juifs ne vivaient pas différemment des musulmans.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=