Géographie | Cattedra, Raffaele

Géographie 594 caractère et le comportement des diverses sociétés de la Méditerranée. Une telle représentation participe, tant bien que mal, à l’apparition d’une autre vision géo- politique, où la Méditerranée est conçue cette fois comme un « espace vital » : un espace d’annexion des puissances européennes, et qui trouve place notam- ment dans l’idéologie du nazisme allemand et du fascisme italien, ce dernier par le biais d’une rhétorique faisant resurgir le mythe romain de Mare Nostrum . En même temps, à l’opposé du mythe de la latinité qui nourrit le projet colonial et impérialiste, l’idée humaniste et civilisatrice de Valéry, Camus, Audisio, Morand et d’autres écrivains, la « méditerranéité », saisie en tant qu’horizon commun de valeurs partagées, devient le soubassement d’une pensée qui dégage une singula- rité de l’« homme méditerranéen », d’où Siegfried pourra tirer parti dans sa Vue générale de la Méditerranée (1943) pour proposer, sur un plan qui se voudrait neutre et scientifique, même une définition de la « race méditerranéenne » : une race qui « possède des caractères physiques qui lui sont propres et la distinguent, soit des Noirs, soit des Jaunes, soit des autres sections de la race blanche » (p. 72). Ce qui est paradoxalement absent de la géographie de la Méditerranée jusqu’au milieu du xx e siècle est le fait urbain. La ville jaillit avec force chez Braudel (1949), lequel reprend explicitement à Lucien Febvre l’idée d’une Méditerranée qui aurait été édifiée sur la durée par des réseaux « de routes et de villes ». Cette absence s’explique d’une part par le retard que prend la géographie urbaine à s’affirmer au sein de la discipline. Le Portugais Orlando Ribero, dans son Mediterrâneo. Ambiente e tradição (1968), n’y consacre qu’un court chapitre de quinze pages, comme Hildebert Isnard dans son Pays et paysages méditerranéens (1973). Ce n’est qu’à la fin des années 1970 qu’est organisé par Guy Burgel et Étienne Dalmasso le premier colloque de géographes français dédié aux questions urbaines en Méditerranée, intitulé « Capitales et métropoles méditerranéennes » (dont les actes furent publiés en 1978 dans la revue Villes en parallèles ). D’autre part, cette absence s’explique par le fait que l’émergence d’une figure unitaire de la « ville méditerranéenne », en tant que matrice de la Civilisation et fondatrice d’une syn- taxe qui articule Ville et Méditerranée dans un lien de réciprocité – conçu comme exemplaire, précoce et pérenne –, maintient son champ d’apparition privilégié dans le domaine de l’histoire (héritages, patrimoines, mémoires…). Ce paradigme aura tendance à se défaire pour se scinder en deux, voire trois, modèles opposés, soutenus par les analyses de géographes et d’orientalistes : la « ville européenne » versus la « ville arabo-musulmane » ou orientale, ou encore la « ville du tiers-­ monde » ou du Sud. Le retour en surface (à partir des années 1980) d’une troi- sième figure que l’on pourrait nommer de la « recomposition » (Cattedra, 2010) redonne souffle à la matrice unitaire première de la ville méditerranéenne, tout en y incorporant une série d’items qui étaient précédemment considérés négati- vement comme appartenant à la ville du Sud (le désordre urbain, l’animation de

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