Frontière | Cattaruzza, Amaël; Sintès, Pierre

Frontière 571 était intégrée au camp occidental à la suite d’une violente guerre civile (elle entre dans l’ otan en 1952). Enfin, les frontières ont également une fonction symbolique puissante dans le monde westphalien. Elles sont des marqueurs politiques forts et concrets de la nation, bien que ce lien frontière/nation ne semble pas évident, si l’on considère la configuration politique des pays méditerranéens, qui compte de très nom- breux États plurinationaux. Toutefois, ce principe contemporain de délimita- tion et de démarcation de ligne-frontière est lui-même un phénomène historique issu du modèle de l’État-nation défini en 1648 par les traités de Westphalie. La généralisation de ce principe se matérialise par un long processus de redéfini- tion des frontières européennes, processus plus ou moins rapide selon les lieux et qui est encore en cours dans certaines régions. Les grands événements qui ont redessiné la carte politique mondiale (congrès de Vienne, 1815 ; congrès de Berlin, 1878 ; congrès de Versailles, 1919 ; Yalta, Potsdam et les changements post-Seconde Guerre mondiale) s’inscrivent dans cette même dynamique. La frontière et l’effet-frontière contemporains sont donc, eux-mêmes, à resituer dans le temps comme des phénomènes historiques, dont l’application réelle n’est pas immuable et correspond à l’apparition d’un certain type d’État. En l’occurrence, l’État-nation. Ce lien entre nation et frontière ouvre, de facto , une dimension identitaire qu’il nous faut préciser. En effet, les nationalismes s’accompagnent souvent de revendications territoriales et de projections frontalières pour l’État espéré et fan- tasmé. En retour, la frontière peut, elle-même, être un élément moteur, voire fondateur, des nationalismes et, ce faisant, des nations. Le politologue Luis Martinez montre, par exemple, comment l’instrumentalisation de la question des frontières au Sahara occidental est une ressource politique et une véritable « fabrique du nationalisme » pour les régimes marocain et algérien : « Le conflit du Sahara occidental a surtout été pour chacun d’eux une formidable oppor- tunité politique d’asseoir leur autorité. La monarchie marocaine a pu s’appro- prier le sentiment nationaliste porté par le mouvement de l’Istiqlal qui faisait de la cause du grand Maroc l’un de ses combats politiques. Le Sahara occiden- tal a permis au régime algérien de justifier le pouvoir de l’armée et d’entretenir le sentiment nationaliste. L’avantage du conflit saharien était évident : l’instau- ration, sous couvert d’un sentiment nationaliste, de régimes politiques autori- taires. » (Martinez, 2011, p. 4.) Il faut donc, à l’instar des géographes David Newman et Anssi Paasi (2001), replacer la notion de frontière dans les discours nationaux et territoriaux, en tant qu’objet de discours, voire en tant qu’élément discursif. Les frontières d’un État existant jouent un rôle primordial dans la construction identitaire de ses populations, en fixant la limite entre « eux » et « nous », entre l’« extérieur » et

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