Forêt | Chalvet, Martine

Forêt 557 plus été regardés comme un succès de l’aménagement productif mais comme un écrin de verdure. Vue comme belle et aménagée comme telle, la forêt a pu devenir un signe identitaire et un patrimoine culturel. Dès le xix e siècle, ces nouvelles valorisations de la forêt se sont associées à des pratiques sociales touristiques, sportives et ludiques inédites. À pied, à vélo, en automobile, le touriste et l’adhérent de club sportif ont voulu admirer la beauté de la forêt, le pittoresque et le sublime des paysages. Au cours de ces excursions, la « nature » est devenue un patrimoine à visiter et à respecter. En France, en Italie, en Espagne et dans leurs colonies, les acteurs du tourisme (syndicats d’initiative, Touring Club), des loisirs et du sport (clubs alpins), de la défense de la forêt et des paysages (Sociétés d’amis des arbres) mais aussi les sociétés de transport et les forestiers ont fait un important travail de publicité pour faire connaître et respec- ter les « beautés de la nature » comme des patrimoines régionaux et nationaux. Atouts du développement touristique, ces nouvelles conceptions et ces pra- tiques inédites sont également devenues des cautions au service des construc- tions culturelles et politiques. Vue comme immuable, la forêt a servi à retisser les liens du passé, à rattacher le présent aux prestigieuses civilisations de l’Antiquité, et ainsi à se revendiquer clairement comme descendants des Grecs ou de l’Empire romain dans les constructions idéalisées de la nation et de l’unité méditerranéenne. En Italie et en Espagne, les parcs nationaux sont devenus de merveilleux miroirs de la nation. Dans la colonie algérienne et les protectorats tunisiens et marocains, ils ont été construits comme le signe d’un lien « naturel » unissant la France et ses territoires d’outre-mer. La construction idéologique de la forêt méditerranéenne est ainsi venue renforcer l’image de la Méditerranée perçue comme un vaste lac unissant les deux rives d’une même nation. Symbole d’enracinement, l’arbre a conforté le sentiment d’appartenance nationale et d’at- tachement à une « terre immémoriale ». Il est devenu l’incarnation « naturelle » de l’unité méditerranéenne et par là même une légitimation de la colonisation. Bien que liée à la nature, la forêt méditerranéenne demeure donc une édifica- tion sociale, politique, économique, scientifique et culturelle érigée comme l’incarnation « naturelle » de l’unité méditerranéenne et le décor immuable des civilisations méditerranéennes. De manière étonnante, toutes ces constructions ont connu un succès impor- tant après la Seconde Guerre mondiale, à une époque où elles apparaissent moins fondées puisque la forêt provençale puis les forêts de l’Europe méridionale se sont distinguées progressivement des boisements sud-méditerranéens. En effet, la décolonisation puis la construction européenne marquent une séparation entre l’Europe et l’Afrique du Nord. Loin d’être seulement politique, l’éloigne- ment entre les deux rives de la Méditerranée est aussi économique et paysager. Au Nord, la modernisation et l’industrialisation ont mis un terme à l’ancienne

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