Forêt | Chalvet, Martine

Forêt 555 en Méditerranée s’articulait avec la fin des prestigieuses civilisations : le déclin des Égyptiens, des Grecs, des Perses, des Phéniciens, des Romains, des Arabo- musulmans et même de l’Espagne moderne était là pour en témoigner. Après la défaite française de 1870, l’image métaphorique de l’arbre, racine et régéné- rescence, s’est développée pleinement dans le discours colonial et patriotique. Largement influencé par les théories du déterminisme et de l’évolutionnisme social, le récit de la dégénérescence méditerranéenne n’était pas uniquement tourné vers le passé. Cette leçon de l’histoire devait également servir à lire dans le grand livre de l’avenir. Pour sa propre survie, la France coloniale devait tenir compte de l’exemple romain et de la « loi fatale » reliant la vie des nations à celle des forêts. Cette opposition entre une forêt européenne et une forêt méditerranéenne se retrouvait très clairement dans les analyses de l’administration forestière. Façonnés par la sylviculture allemande ou par une sylviculture apprise à l’école de Nancy, les ingénieurs des Eaux et Forêts en Espagne, en Italie, en Grèce et surtout en France disposaient d’une connaissance théorique et universelle coupée des réali- tés méditerranéennes. Ils étaient donc surpris et choqués par des aménagements et des usages locaux qu’ils jugeaient très destructeurs. Forts de leur légitimité technique et scientifique, ils pensaient pouvoir impulser une régénération des forêts grâce à une politique volontariste et uniforme largement inspirée par une sylviculture forgée dans le Nord-Est de la France ou dans les principautés alle- mandes. Sans tenir compte des contextes locaux, ils ont importé en Méditerranée leurs modèles de législation et d’aménagement productiviste des bois. Ces législations et ces méthodes « étrangères » ne pouvaient s’appliquer sans susciter de nombreux mécontentements. Mauvaise volonté dans l’application des lois, infractions, voire révoltes, révélaient clairement l’opposition des pasteurs et des populations rurales les plus pauvres en Provence et en Algérie. En parallèle, les nombreuses publications, pétitions et protestations des notables locaux mon- traient une nette hostilité envers une politique centralisatrice et uniformisante. Poussées par des motivations totalement distinctes, voire antagonistes, les popu- lations locales revendiquaient une prise en compte de leur spécificité régionale. Confrontés au terrain, les officiers français constatèrent, eux aussi, que les leçons apprises à Nancy ne pouvaient s’appliquer sans rectification. À partir de 1860, ils se rapprochèrent des élites locales pour mieux faire accepter les lois, pro- téger les bois, mieux contrôler les campagnes mais aussi construire un savoir plus adapté aux situations locales. Pour y parvenir, les notables et les forestiers multi- plièrent les expériences et les études concrètes. Dans ce vaste élan, les Français, présents en Provence, en Algérie, dans l’Empire ottoman puis en Tunisie et au Maroc, disposaient d’un champ géographique extrêmement vaste pour esquisser les premières comparaisons et constater les analogies les plus visibles. Avec des

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=