Forêt | Chalvet, Martine

Forêt 554 celle du massif des Maures (Sud de la France) au xix e siècle, de l’Espagne, du Portugal, du Maroc et de l’Algérie au xx e siècle. Sur la très longue durée, ces prélèvements domestiques et artisanaux, le sys- tème agro-sylvo-pastoral, le pâturage, la sélection des essences utiles et l’acclimata- tion de nouveaux végétaux, les essartages et les reprises forestières, l’usage du feu, la surexploitation sans oublier les conditions du climat méditerranéen ont des- siné des bois relativement semblables. Cependant, jusqu’au xix e siècle, l’existence d’écosystèmes forestiers spécifiques n’était pas perceptible pour des sociétés rurales encore relativement fermées. D’autre part, séparés par des clivages religieux, poli- tiques et culturels profonds, les hommes ne pouvaient concevoir une quelconque unité sur l’ensemble du pourtour méditerranéen. En fait, la prise de conscience de l’existence d’une forêt méditerranéenne est née d’un nouveau regard de l’Europe sur le pourtour méditerranéen. Au xix e siècle, le passage d’une économie agri- cole et pastorale à une société industrielle puis urbaine et post-industrielle, le développement des sciences (botanique, géographie, climatologie et écologie) et de la sylviculture, la menace qui a pesé sur les bois avec les déboisements et la surexploitation, les transformations administratives et politiques comme la cen- tralisation française, la création des États-nations et la colonisation ont provo- qué de nombreux bouleversements dans les usages des bois en Méditerranée et la manière de les regarder, de les penser mais aussi de les aménager. À partir de la fin du xviii e et tout au long du xix e siècle, les descriptions de l’administration, des notables, des voyageurs romantiques ou physiocrates ont peu à peu dessiné l’image en négatif d’une forêt singulière. En dépit de leurs oppositions théoriques, les descriptions étaient unanimes pour esquisser le dessin de boisements dégradés, secs, stériles et fort laids, opposés aux belles frondaisons du Nord de l’Europe. Liées à l’ouverture de l’Europe sur la Méditerranée puis à la colonisation, ces descriptions s’articulaient aussi avec la naissance en Allemagne et en France de la sylviculture, d’une administration des Eaux et Forêts moderne et d’un nouveau discours de protection des bois. Depuis la fin du xviii e siècle, la forêt n’a plus seulement été considérée comme une ressource naturelle mais aussi comme un élément indispensable à l’équilibre de la nature. Barrière contre les vents, les arbres ont revêtu de nombreuses fonctions écologiques dans la régu- larisation du régime des eaux, le maintien des terres et donc la lutte contre les inondations, voire la régulation des climats. Le déboisement a alors été rendu responsable de bien des maux et, à l’inverse, la présence des bois a été auréolée de multiples vertus économiques, écologiques, psychologiques et culturelles. Au xix e siècle, le cas des forêts en Méditerranée est même devenu un exemple probant du discours d’entropie qui reliait le déboisement à la régression éco- nomique, politique et culturelle. Dans la nouvelle vision, la pauvreté des forêts

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