Forêt | Chalvet, Martine

Forêt 552 Au cours de cette lente construction de « civilisations agricoles identiques » (Braudel, 1949), les bois occupaient une place importante. Dans le cadre d’une économie vivrière, les populations y puisaient de nombreuses ressources ali- mentaires (miel, fruits sauvages, champignons, plantes, herbes aromatiques, gibier, oiseaux). Compléments nutritifs, les richesses forestières servaient aussi aux besoins domestiques de la vie quotidienne. Les ramilles et les branchages permettaient de s’éclairer, de se chauffer, de cuire l’eau et les aliments alors que les perches et les bois d’œuvre étaient indispensables à la fabrication des outils et à la construction de l’habitat. Au-delà des seules activités domestiques, les bois étaient vitaux pour l’éco­ nomie rurale traditionnelle. Les espaces forestiers ou subforestiers représentaient le maillon central d’un système agro-sylvo-pastoral de complémentarité entre les espaces et les activités rurales. À la lisière ou même à l’intérieur des massifs fores- tiers, les paysans gagnaient quelques parcelles cultivables, ils coupaient le bois et les broussailles qui encombraient le terrain à ensemencer puis ils y mettaient le feu. Ils profitaient de l’enrichissement du sol produit par les cendres pour don- ner plusieurs cultures, après quoi ils laissaient la terre au repos se recouvrir de broussailles puis d’arbres pour ressemer de la même manière vingt ans plus tard. Réserves de terres pour l’agriculture, les bois accueillaient aussi l’élevage. Conscient de l’intérêt du potentiel boisé, l’éleveur, à l’instar de l’agriculteur, gagnait à son tour des surfaces temporaires de pâture et ces vacants étaient peu à peu adap- tés à l’élevage. Une sélection à rebours éliminait les essences ne convenant pas aux troupeaux, notamment les buis et les résineux, ou, à l’inverse, favorisait les espèces servant à l’entretien des bêtes, notamment les feuillus. La recherche de terres de parcours dans des régions soumises à un été chaud et fort sec consti- tuait d’ailleurs un des principaux fondements de l’activité pastorale, notam- ment au moment de l’estivage ou de la transhumance. Espace auxiliaire pour l’agriculture et l’élevage, les bois représentaient enfin un lien entre les activités. Dans une agriculture encore privée d’engrais chimique, ils participaient à l’en- richissement des parcelles cultivées. On se servait de tout : les substances végé- tales en décomposition (feuilles mortes, fougères, bruyères) mais aussi les buis et les genêts qui formaient la litière employée par la suite comme fumier. Enfin, les terres bénéficiaient de la fumure apportée par les bêtes. Dans l’idéal, le bétail parcourant les bois y puisait les éléments fertilisants qu’il restituait ensuite sous forme d’excréments. Au cours des périodes préindustrielles, ces usages agricoles et pastoraux ont toujours été associés à une utilisation artisanale du potentiel ligneux et des pro- duits secondaires. Dans les sociétés du pourtour méditerranéen largement fon- dées sur le développement de la navigation et des villes, les futaies de chênes et de pins fournissaient aussi un bois d’œuvre indispensable. L’exploitation des

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