Football | Bromberger, Christian

Football 549 traduire la volonté de se rapprocher de l’Europe – politiquement et sportive- ment : c’est le cas de la Turquie. Mais ce sont surtout les sentiments d’appartenance communautaire (reli- gieuse, ethnique, régionale) que cristallisent clubs et compétitions. À Beyrouth, la ferveur des supporteurs se partage entre les clubs sunnite (Nejmeh), chiite (Chehab Sahel), druze (Safa), maronite (La Sagesse), arménien (Homenetmen). À l’échelle d’un État, des clubs peuvent symboliser des revendications identitaires ou nationalitaires. À Barcelone, le Barça, avec ses 110 000 socios , a été et demeure le vecteur de la revendication catalane ; ses laudateurs le définissent comme la « sublimation épique du peuple catalan dans une équipe de football », comme une « armée sans armes », l’« ambassadeur d’une nation sans État », etc. En Algérie, la Jeunesse sportive de Kabylie est considérée comme le porte-drapeau des revendications berbères. Le sentiment que sa ville est injustement traitée par une capitale arrogante peut renforcer l’attachement des supporteurs au club qui la représente. C’est le cas dans des métropoles des Suds européens (Marseille et Naples, par exemple) qui sont nostalgiques de leur grandeur passée et se sentent bafouées de l’extérieur. Les conflits footballistiques atteignent leur paroxysme lors de l’éclatement des États que souvent ils préfigurent. L’explosion de la Yougoslavie en four- nit un exemple récent. En 1990, des incidents extrêmement graves, oppo- sant joueurs et supporteurs croates et serbes, émaillèrent les matchs entre le Dynamo de Zagreb et l’Étoile rouge de Belgrade puis entre Hadjuk Split et le Partizan de Belgrade. Ce furent là les prémices de l’éclatement de la Fédération. En Bosnie, trois fédérations distinctes furent formées au lendemain du conflit : celle de Bosnie-Herzégovine, regroupant les clubs musulmans, celle d’Herzeg-Bosnie, organisant les matchs entre équipes croates, celle enfin de la République serbe. L’unification des fédérations en 2002 n’a pas effacé les ten- sions. À Mostar, par exemple, dont le pont a été détruit comme l’a été l’unité de la ville, les rencontres entre le club musulman de Velež, du nom de la mon- tagne qui domine la ville, et celui, croate, de Zrinjski, du nom du héros qui opposa une farouche résistance aux Turcs, se déroulent dans une atmosphère particulièrement belliqueuse. Même indépendamment de ces contextes dramatiques, les matchs de football se déroulent dans le monde méditerranéen dans une atmosphère tendue et théâ- trale : s’y exaltent les « valeurs » viriles, le sens de l’honneur local, le goût pour le spectacle et la compétition (pour l’ agôn dans les termes de Roger Caillois), for- tement ancrés au nord comme au sud de la mer. Christian Bromberger

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