Fête | Reysoo, Fenneke; Fournier, Laurent Sébastien

Fête 538 effet cathartique. Cela accroît leur sentiment d’appartenance, renforce les valeurs du groupe et leur permet de réaffirmer leur identité sociale. Troisièmement, les rassemblements massifs ont toujours été une question déli- cate pour l’élite politique. À diverses époques de l’histoire, ces festivités, considé- rées comme des subversions, ont été interdites. À d’autres périodes, elles ont été instrumentalisées par l’élite politique et utilisées pour diffuser des messages. En fonction de l’équilibre des pouvoirs entre l’islam populaire, l’islam orthodoxe et les électeurs, ils ont ainsi pu mobiliser les foules lors de la lutte pour l’indépendance ou, par la suite, dans la lutte opposant les formes d’islam pures et hétérodoxes ; ces fêtes patronales ont été interdites puis autorisées au Maroc (Reysoo, 1991), attaquées par le Front islamique du salut ( fis ) dans les années 1990, tout comme elles avaient été la cible, dans les années 1930, du mouvement de réforme Salafiya en Algérie (Andezian, 2001). En Tunisie, le contrôle par l’État-nation des aspira- tions locales est affiché par le biais de festivités locales. Le mawsim de Nabî Mûsâ a été utilisé afin de réaffirmer l’identité palestinienne (Aubin-Boltanski, 2005). Le mouled ( mawlid en arabe classique) d’al-Badawî à Tantâ, en Égypte, était une impulsion destinée à produire une identité urbaine (Pagès-El Karoui, 2008). Et au Liban, une fête votive rassemblant plusieurs confessions a été une forme de reconstruction nationale (Farra-Haddad, 2005). Du côté européen aussi, le culte des saints a constitué une caractéristique distinctive du catholicisme méri- dional. Considérés par le clergé officiel comme des formes impures de dévotion, voire comme du paganisme, les saints patrons ont cependant été tolérés, per- mettant la perpétuation de certaines formes spécifiques de religiosité populaire. En termes politiques, les fêtes des saints patrons ont souvent été redoutées pour leur potentiel subversif. Dans un contexte où le nationalisme est plus ancien que dans les pays d’Afrique du Nord, les acteurs régionalistes – par exemple en Catalogne ou dans le Sud de la France – ont construit toute une série de rites fes- tifs permettant d’affirmer une identité différente de celle proposée par les États- nations en construction (Guiu, 2008). Dans les Balkans, les fêtes et le folklore populaire ont été adaptés au xx e siècle pour répondre aux attentes des régimes communistes. Mais aujourd’hui, la musique des fêtes des Balkans est diffusée à l’étranger et nourrit la contre-culture internationale. Ces fêtes ont ainsi résisté aux différentes périodes historiques de déclin ou de renouveau, conséquences de l’action des luttes politiques. Le mélange de mani- festations profanes, religieuses et de divertissement, a permis de nourrir et de perpétuer des valeurs collectives chargées de symboles. Ces festivités, rurales ou urbaines, auxquelles participent à la fois des personnes instruites et des illettrés, ont contribué dans plusieurs pays à renforcer la cohésion sociale d’un groupe entier (Chiffoleau et Madœuf, 2005 ; Christian, 1972). En parallèle, elles ont également réaffirmé les distinctions subtiles qui existaient entre les différents

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=