Fascisme | Mourlane, Stéphane

Fascisme 530 Dans ce cadre, la référence à la Rome impériale et à la romanité constitue l’un des mythes les plus puissants mobilisés par le régime mussolinien. La poli- tique urbanistique de la capitale italienne vise à mettre en scène une continuité impériale, fondement d’une « troisième Rome » dont le rayonnement s’étendrait, comme dans l’Antiquité, sur le bassin méditerranéen. Selon ce que proclame le Duce, qui se voit volontiers comme un nouveau César, pour l’Italie « une île qui s’immerge dans la Méditerranée », cette mer est la vie. Si le pouvoir fasciste n’a jamais conçu de plan unique et détaillé de domination de la Méditerranée, il y déploie clairement une politique expansionniste dont les enjeux sont à la fois stratégiques et idéologiques, et dont les modalités varient en fonction du contexte géopolitique. De ce point de vue, la conquête de l’Éthiopie et le rap- prochement avec l’Allemagne nazie dans les années 1935‑1936 constituent un tournant. Aux enjeux stratégiques traditionnels viennent se mêler des détermi- nants idéologiques. Après la chute d’Addis-Abeba, Mussolini annonce aux Italiens comblés « la renaissance, après quinze siècles, de l’Empire romain ». L’ambition impériale en Méditerranée se déploie dès lors plus ouvertement. Elle bénéfi- cie de l’accord tacite entre le Duce et Hitler : l’Italie voit ses prétentions médi­ terranéennes reconnues à la faveur d’un renoncement de la voie danubienne et balkanique au profit de l’influence allemande. Dans ce tournant, le mythe de la romanité intervient pour légitimer les orientations racistes du fascisme italien, dont l’antisémitisme est la déclinaison dans la péninsule. Se dessine l’image d’un « homme nouveau », dominateur et conquérant. La supériorité de la race ita- lienne, puisée dans des racines antiques, confère à l’Italie une mission civilisatrice qui justifie son expansionnisme. Les enjeux diffèrent cependant selon la rive, sud ou nord, du bassin méditerranéen. Au sud, l’Italie entend asseoir une domina- tion coloniale sur le modèle français ou anglais, même si la référence n’est jamais avouée. La Libye, conquise en 1911, y est la seule colonie italienne, les autres possessions se situant dans la corne de l’Afrique. Le régime fasciste y mène une politique de ségrégation et de discrimination à l’égard des indigènes. La violence coloniale connaît son acmé en Libye avec la « pacification » de la zone littorale en 1922‑1924, puis la pénétration vers le Sud tripolitain. L’impérialisme fasciste conduit à remettre à l’ordre du jour, par ailleurs, la question tunisienne naguère pomme de discorde avec la France. Le protectorat français compte, en 1921, 85 000 ressortissants italiens qui sont l’objet d’une active propagande en provenance de Rome afin de maintenir leur italianité. Avec la radicalisation du régime fasciste dans la seconde moitié des années 1930, la Tunisie est ouvertement revendiquée. L’expansionnisme colonial bute cepen- dant jusqu’à la guerre sur les intérêts méditerranéens de la France mais aussi sur ceux de la Grande-Bretagne.

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