Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

518 Expédition d’Égypte Une petite élite lettrée fréquenta les Français, de passeurs culturels dans les deux sens. Le prêtre melkite dom Raphaël de Monachis, formé à Rome, allait ensuite être successivement seul membre oriental de l’Institut d’Égypte, pro- fesseur d’arabe vulgaire à l’École des langues orientales à Paris, puis traducteur pour l’imprimerie de Bûlâq. D’abord hostile, l’ouléma cairote Hasan al-‘Attâr allait devenir le principal promoteur de l’acquisition des sciences occidentales dans son pays. À l’opposé, face aux hiéroglyphes dont le sens restait inconnu, les ingé- nieurs français se firent humbles collecteurs et copistes aussi fidèles que le per- mettaient de pénibles conditions de travail. Par la Description de l’Égypte et la découverte de la pierre de Rosette, l’expédition permit ensuite de transformer l’égyptomanie des cabinets de curiosités en une science nouvelle, l’égyptologie. Une poignée de savants et de jeunes polytechniciens définit ainsi sur le terrain les premières méthodes d’archéologie scientifique, que fixa l’Institut d’Égypte dans le programme de fouilles de Gizeh deux mois avant le débarquement de l’armée britannique. Autant que les conditions politiques et militaires le per- mirent, l’appropriation de l’Égypte par les « savants » fut totale. Mais la lassi- tude les avait déjà gagnés lorsque Menou envisagea une véritable colonisation. Le mal du pays les avait atteints, comme les soldats, surtout depuis le départ de Monge et Berthollet avec Bonaparte en août 1799. Pour la plupart d’entre eux, décimés par la peste et affaiblis par l’ophtalmie, les enjeux de carrière passaient maintenant par le retour en France pour exploiter leurs travaux. La lassitude et la rancœur gagnèrent-elles également les Égyptiens ? Les résis- tances rencontrées préfigurent les mouvements nationaux auxquels Napoléon allait se heurter, notamment en Espagne et en Allemagne. La révolte éclata sous Bonaparte (octobre 1798) et sous Kléber (mars 1800), poussant celui-ci à s’ap- puyer sur les minorités. Sous Menou, dont l’utopie « coloniste » s’appuyait sur les musulmans avec un discours de fraternité républicaine entre Français et Égyptiens, les rapports entre les notables et l’occupant semblent avoir été meil- leurs. Mais, peu apprécié de ses subordonnés, le dernier général en chef eut plus de mal à maîtriser la situation militaire. Pour sauver la colonie, il conseillait au Premier consul de laisser à l’Angleterre l’océan Indien et le commerce de la mer Rouge, et de réserver à la France la Méditerranée dont l’accès serait interdit aux Russes. En mars 1801, Menou quitta la capitale pour tenter vainement d’arrê- ter à Canope les Anglais fraîchement débarqués à Aboukir. En juin, Belliard capitula au Caire après quelques semaines de blocus, tandis que les cipayes de Bombay, quittant l’Inde pour la première fois, débarquaient à Cosseir pour des- cendre le Nil. En septembre enfin, lui-même capitula à son tour à Alexandrie. Les Français évacuèrent totalement le pays et l’armée anglo-ottomane fut accueillie avec soulagement.

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