Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

Expédition d’Égypte 516 un pays de commerçants méprisables ; avec Bonaparte, elle devenait une puis- sance respectée par crainte mais haïe, qui ressuscitait le souvenir des croisades honnies, toujours vivantes dans la mémoire collective de l’Orient. Occupation, colonisation nouvelle et ouverture culturelle Pourtant les Français tentèrent de comprendre la société égyptienne et de s’en concilier les élites, par intérêt scientifique et par calcul politique. Tout en se cla- mant le restaurateur du pouvoir du sultan au Caire, Bonaparte écrit au Directoire que « la République ne peut pas avoir une colonie plus à sa portée et d’un sol plus riche » (24 juillet 1798). Mais ce modèle colonial inédit impliquait une réelle connaissance de la population, ne fût-ce que pour en obtenir le concours. Ainsi, Bonaparte orienta les travaux de l’Institut d’Égypte vers les coutumes et les ins- titutions judiciaires et scolaires du pays, Kléber créa une commission des rensei- gnements sur l’état de l’Égypte moderne, qui fut à l’origine de la Description de l’Égypte , et Menou prôna la marche utopique vers une nation biculturelle qu’an- nonçait le geste très politique de sa conversion, laquelle n’eut d’autre effet que de heurter l’armée sans rallier la population. Du côté égyptien, le procès de l’assassin de Kléber, en juin 1800, força l’admiration du cheikh Jabartî, chroniqueur et membre du Divan (diwan) : certes, l’assassin fut empalé après avoir eu le poignet brûlé et tranché, mais à l’issue de deux jours de procès bien qu’il eût été pris sur le fait. Cet épisode cruel met en évidence les relais du pouvoir de l’occupant : la sentence fut exécutée par un membre de la communauté grecque, Barthélemy, qui com- mandait les forces de police indigènes. Car le pouvoir français reposait aussi sur un triple compromis avec les notables du pays. Au sommet, formant un corps intermédiaire consultatif, étaient les notables du diwan , garants de la tranquillité ou otages, unanimement respectés pour leur sagesse, comme le président al-Sharqâwî, ou « collaborateur par intérêt » (Laurens, 1989) comme al-Bakri, le syndic des chérifs (naqîb al-ashrâf ) du Caire. Représentant toutes les composantes de la société égyptienne en 1798, ils furent réduits par Menou à un petit groupe d’oulémas musulmans en 1800. À la base, les chefs traditionnels, cheikhs de village ou de corporation, étaient, bon gré mal gré, les relais naturels et les garants de la stabilité relative du pays. Entre les deux, les minorités chrétiennes se retrouvaient à tous les niveaux de l’admi- nistration fiscale, qui restait l’apanage des intendants coptes comme sous les mamelouks. Elles formèrent des corps supplétifs palliant les lourdes pertes

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