Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

Expédition d’Égypte 515 maintenant aussi des lourdes réquisitions de l’armée française et du lot habi- tuel des exactions qui accompagnent les guerres. « Nous débarquons dans un pays qui ne pensait pas à nous, nous pillons les villages, ruinons les habitants et violons les femmes… », constate dès son arrivée au Caire le jeune botaniste Coquebert, rejoignant les dires de Vivant Denon qui accompagnait la division Desaix : « Après treize heures de marche, nous vînmes coucher à Guemaressim, malheureusement pour ce village ; car les cris des femmes nous firent bientôt comprendre que nos soldats, profitant des ombres de la nuit, malgré leur lassi- tude, prodiguaient des forces superflues… » Le calme resta toujours précaire, dans la capitale comme dans les campagnes enhardies par de puissants notables de province, tel HassanToubar dans la région de Damiette. Contre toute attente, Le Caire se souleva en octobre 1798, trois mois à peine après l’occupation. Bonaparte pardonna aux chefs des insurgés, mais après avoir fait donner du canon sur leurs derniers fidèles, au cœur même de la culture et de la foi musulmanes, la mosquée d’al-Azhar, saccagée et souil- lée sur son ordre. En haute Égypte, Desaix remonta le Nil jusqu’à Assouan et battit encore Murâd à deux reprises, sans parvenir à anéantir ses troupes. Sur la mer Rouge, Suez et Cosseir furent occupées. L’Égypte sédentaire tout entière était alors française, puisque la vallée, le delta, les ports et la route de Syrie étaient contrôlées par l’armée. Mais les mamelouks restaient menaçants, Ibrahim en Syrie, Murâd en Nubie, quoique leurs biens et leurs femmes fussent sous la garde de l’occupant. Et dans le désert omni­ présent, les Bédouins insaisissables étaient toujours prompts à se soulever, mal- gré les otages qui garantissaient les conventions. Les fellahs les rejoignaient dès que l’armée n’était plus en mesure de les protéger de ces ennemis traditionnels redoutables, ou ralliaient les volontaires musulmans venus de La Mecque pour le jihad. Ainsi, durant trois ans, la pacification ne fut jamais qu’un état provi- soire, tant du fait de ces forces irréductibles que par suite de l’incompréhension que suscitaient des mesures incomprises ou onéreuses (abattage des portes de quartiers et des chiens errants, nettoyage des rues, éclairage nocturne, brûlement des biens des pestiférés, interdiction des inhumations dans la ville) qui, heurtant la culture égyptienne, alimentaient la résistance. Or l’Administration, toujours à court d’argent et soucieuse de contrôle, multipliait les procédés bureaucratiques et les taxes : enregistrement des propriétés, droits sur les héritages, déclarations diverses sur papier timbré, et toutes sortes d’autres mesures jugées vexatoires. « Les Français de l’expédition auraient donc été vus comme les voyageurs d’une autre planète, par une Égypte étonnée ou révoltée, mais certainement pas tou- chée par une mentalité, des mœurs qui lui sont trop étrangères ; ceci dans le cas où elle aurait vu autre chose que des soldats agissant en toute impunité dans un pays conquis. » (Enan, 1999, p. 5.) Pour les Égyptiens, la France était auparavant

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