Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

Expédition d’Égypte 513 la « colonisation nouvelle », reposant sur le travail libre. Le lobby colonial était proche du pouvoir, avec Joséphine de Beauharnais, le ministre Talleyrand, le général Menou et toutes sortes d’hommes d’affaires prêts à se faufiler dans le sil- lage de l’armée. Par sa position géographique, par sa proximité, par sa richesse, l’Égypte semblait non seulement un pays à étudier, comme le proposait l’ Ency- clopédie , mais une terre à conquérir pour expérimenter ce nouveau régime colo- nial et établir entre l’Afrique et l’Europe, comme l’écrit Jean-Baptiste Say en 1796, « un commerce social fondé sur l’abolition de la traite des nègres, sur des besoins et des services réciproques ». Militaires, négociants et intellectuels pou- vaient se retrouver dans ce projet commun. Chacun pouvait y trouver son compte, y compris les savants qui, sans connaître l’exacte destination mais non sans quelque idée, suivirent l’armée avec l’espoir de fructueuses découvertes. En habile stratège et tacticien dont le but final était la conquête du pouvoir, Bonaparte se ménagea toujours une ouverture ou une porte de sortie en fonction des événements qu’il créa ou subit. En emportant des cartes de la péninsule Indienne et du Bengale, il se donnait les moyens de pour- suivre des opérations dans l’Inde, en conjonction avec le général Decaen, à l’île de France, et avec le sultan musulman du Mysore, Tipû Sâhib, en guerre avec les Britanniques. À ce dernier, il expédia des courriers dès son arrivée en Égypte, tout en réaffirmant au Directoire que « la puissance européenne qui est maîtresse de l’Égypte l’est à la longue de l’Inde » (7 octobre 1798). De même, lorsque le maintien illusoire de l’alliance ottomane que Talleyrand aurait dû assurer se solda par la déclaration de guerre de La Porte, en septembre, et par l’alliance russo-­ turque, la conquête de la Syrie s’imposa à Bonaparte. S’agissait-il d’affermir la possession de l’Égypte en constituant un puissant glacis en Palestine, voire en menaçant la capitale de l’Empire ottoman pour lui imposer la paix comme il l’avait fait avec Vienne en 1797, ou – ainsi qu’il le prétendit plus tard à Sainte-­ Hélène – entendait-il vraiment marcher sur les pas d’Alexandre le Grand, en se faisant lui-même reconnaître comme sultan à Constantinople pour rentrer à Paris couvert de gloire ? Au rationnel des considérations géopolitiques, sans doute faut-il ajouter l’irrationnel de son goût prononcé pour l’Orient et de son désir de renouveler les exploits d’Alexandre qui avaient nourri sa jeunesse. En tout cas, la Commission des sciences et des arts qu’il emmena avec lui pouvait aussi bien jeter les bases de la colonisation de l’Égypte que répondre à un simple but scientifique.

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