Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

Expédition d’Égypte 522 paraître, elles peuvent cheminer de pair avec le savoir et l’étude, avec la curio- sité de l’Autre et l’ouverture à lui, avec la marche du progrès et de la modernité. L’existence d’un projet colonial français en Égypte ne doit pas se lire rétro­ spectivement à l’aune de l’impérialisme colonial auquel il a ouvert la voie. Que l’utopie colonisatrice de la mission civilisatrice appartienne aussi à un double discours, elle n’en appartient pas moins à une idéologie du temps que l’histo- rien ne peut récuser d’un trait de plume, même s’il doit en constater l’impasse inéluctable. À la force brute et cynique de Bonaparte au Caire, Menou répon- dait de Rosette, après deux mois d’occupation : « Les habitants s’accoutument à nous ; j’emploie autant que je peux, vis-à-vis d’eux, les moyens de douceur et de persuasion, et ils entendent raison. » (7 septembre 1798.) Deux ans plus tard, converti à l’islam par conviction politique « coloniste », marié à une des- cendante du Prophète et devenu général en chef, il cherchait à concilier le main- tien de l’ordre et la fraternité : « Soldats, sachez donc être généreux envers les Égyptiens. Mais, que dis-je ? les Égyptiens aujourd’hui sont des Français ; ils sont vos frères. » (5 septembre 1800.) Rhétorique utopique et calcul politique, sans doute, mais le projet préfigure celui d’Ismaïl Urbain plus qu’il ne prolonge celui de Bonaparte. À bien des égards, il préfigure aussi, hors de tout cadre colonial, les projets de développement et les espoirs reportés sur Méhémet Ali par d’an- ciens « Égyptiens » savants de l’expédition française – Jomard, bien sûr, mais aussi l’obscur Nectoux – et par les saint-simoniens. Car, aussi illégitime soit-elle aux yeux des contemporains et à ceux de la posté- rité, et bien qu’elle ne soit certes pas le cadre idéal de la rencontre et de la décou- verte de l’Autre, la guerre est également (avant tout ? malgré tout ?) l’occasion de cette rencontre. Ainsi, malgré des relations commerciales anciennes et la présence récurrente de quelques voyageurs, Égyptiens et Français ignoraient tout les uns des autres. L’expédition apporta brusquement dans le paysage quotidien de cha- cun des mœurs différentes, souvent à rejeter, faute de pouvoir les comprendre. Aux yeux des premiers, elle déploya la puissance technicienne de l’armée (artil- lerie, ponts de bateaux sur le Nil, moulins à vent, multiplication de placards imprimés sur les murs), et les seconds furent immergés en territoire inconnu (ville arabe, désert, inondation). Toute image réductrice tendant à occulter ou nier l’un quelconque des aspects d’une expédition elle-même diverse condui- rait donc à la distorsion d’une réalité complexe et intéressante par cette diver- sité même. Au reste, comme l’écrit Afaf Lutfi al-Sayyid Marsot : « L’occupation française de l’Égypte a été de trop courte durée pour que l’on puisse savoir si elle a planté des germes utiles. Il est certain, en revanche, qu’elle n’a pas été avanta- geuse pour la majorité. Mais c’est le cas de toute occupation étrangère et l’expé- dition d’Égypte ne fait pas exception à la règle. »

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