Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

Expédition d’Égypte 520 Mémoire partagée, mémoires divergentes et histoire de l’expédition En France, la mémoire collective de l’expédition retient pêle-mêle un groupe de savants juchés sur la tête du sphinx de Gizeh pour en prendre la mesure, la pres- tance exotique des mamelouks de la garde impériale, le style « retour d’Égypte » issu d’une Antiquité pharaonique revisitée, l’énigmatique pierre de Rosette ou, par un raccourci hardi, le nom de Champollion, qui n’avait que 7 ans au départ de la flotte à Toulon…Mais qui garde en mémoire la gravure de L’Embrasement de Salmie où Vivant Denon, tel un reporter de guerre, a figé dans la nuit l’un des nombreux villages incendiés au son du canon en représailles d’actes de résistance dans le delta du Nil ? La France a surtout retenu de cette folle équipée militaire l’épopée héroïque de Bonaparte sur la terre des pharaons et en Terre sainte – telle que l’ont forgée les Salons de l’Empire avec la Bataille des Pyramides de Lejeune, les Pestiférés de Jaffa de Gros, etc. – et le millier de planches de la Description de l’Égypte , fruit de l’étude raisonnée du pays et point d’orgue de la mise en scène orchestrée par la propagande impériale. Ce monument éditorial élevé sur ordre par les savants de l’expédition à la gloire de Napoléon pour célébrer le dixième anniversaire du coup d’État du 18 Brumaire et mieux faire oublier l’échec final d’une conquête militaire aussi rapide et aisée que rapidement condamnée par la perte de la flotte à Aboukir. En Égypte, Napoléon ne perçait pas encore sous Bonaparte, mais son ambition politique, en germe durant la campagne d’Italie, éclatait déjà sous ses titres accolés de « membre de l’Institut national et géné- ral en chef de l’armée d’Orient ». C’est là qu’à l’instar d’un proconsul romain il exerça pour la première fois le pouvoir. C’est de là qu’il rentra le cueillir à Paris, avec la Méditerranée pour Rubicon, mais en abandonnant son armée au piège de l’exil forcé. Sur les deux rives de la Méditerranée, la vision héroïque et encyclopédique de l’expédition s’est amplifiée par l’image d’un double aboutissement plus idyl- lique, celui de la formidable ouverture et modernisation de l’Égypte sous Méhémet Ali, à partir de 1805, et celui du déchiffrement des hiéroglyphes et de l’égypto- logie en 1822, deux révolutions conjuguées, qui ont mené au fil du siècle à Mariette et au musée du Caire (1858), à Lesseps et au canal de Suez (1869), à Maspero et à l’Institut français d’archéologie orientale (1880). Rejetant l’occu- pation française dans un passé révolu, la colonisation britannique en 1882 a même renforcé les liens culturels de l’Égypte avec la France et raffermi cette vision commune. « Pendant des décennies, Français et Égyptiens purent au moins se ren- contrer sur deux points : le postulat qui faisait de l’expédition d’Égypte le moment inaugural de la modernité égyptienne ; et celui qui voyait en elle une formidable

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