Expédition d’Égypte | Bret, Patrice

Expédition d’Égypte 519 En emportant le pont de Gizeh qui symbolisait l’ordre français, la crue de 1801 ôta aussi la confiance dans l’administration ottomane restaurée qui n’avait pas su le préserver. Par des manœuvres habiles et fermes, Méhémet Ali prit le pou- voir en 1805, le consolida en 1811 en exterminant les derniers mamelouks, et lança à son profit l’Égypte dans la modernité qu’elle avait côtoyée durant trois ans. Sur ces bases, le nouveau souverain étranger – mais musulman – allait forger une identité nationale nouvelle sur une synthèse originale des cultures, avec une émancipation progressive de l’Empire ottoman dont il devançait les réformes. Il fit appel à de nombreux techniciens français et italiens, qui formèrent arsenaux, écoles, hôpitaux, canaux, etc. Les uns furent recrutés individuellement, d’autres vinrent de leur propre chef, comme les saint-simoniens, d’autres encore furent envoyés par le gouvernement français, comme l’ingénieur naval Cérisy, qui créa l’arsenal d’Alexandrie, et le général Boyer, ancien commandant de Suez. Enfin, c’est au cheikh Hasan al-‘Attâr, déjà mentionné, que Méhémet Ali confia en 1828 la direction et la rédaction du premier journal officiel en turc et en arabe, al-Waqâ’î‘a al-misriyya . Devenu l’ambassadeur officieux de l’Égypte en France, Jomard soutint les efforts de réforme, même lorsque l’Égypte se retrouva aux côtés de l’Empire ottoman, contre la France et le Royaume-Uni qui soutenaient l’indépendance de la Grèce. En 1826, il accueillit à l’École égyptienne de Paris, rue de Vaugirard, les étudiants égyptiens venus se former en France pour devenir les cadres de la modernisation de leur pays, à l’instar de l’ingénieur ‘Alî Mubârak ou du cheikh Rifâ‘a al-Tahtâwî, élève d’al-‘Attâr. Si l’expédition française n’eut pas d’effet direct sur la modernisation de l’Égypte, le choc culturel qu’a constitué la présence de techniques européennes a facilité le transfert que Méhémet Ali amorça ensuite. En quelques années, une poignée d’experts italiens et français reprit ainsi les travaux ébauchés par l’expé- dition, créant l’imprimerie de Bûlâq, construisant une chaussée surélevée reliant Le Caire au nouveau palais de Shûbra, des lazarets à Alexandrie et Rosette, mal- gré la résistance des oulémas, une poudrerie sur l’île de Rodâ, ouvrant le canal Mahmûdiyya reliant Alexandrie au Nil, puis celui de Suez, établissant un bar- rage sur le Nil…Méhémet Ali détruisit les mamelouks par la ruse et supprima le système de fermage fiscal de l’ iltizâm , sévèrement ébranlé par l’occupation française, laquelle avait entraîné l’épuisement financier de la classe dirigeante des multazim , conduit au développement des troubles paysans contre eux, et amorcé des liens directs entre les cheikhs de villages (shaykh al-balâd) et l’État.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=