Épidémie | Escande, Laurent

Épidémie 501 espace urbain ordonnancé par ces rues et bâtiments, mais qui annonçait aussi la victoire de l’homme sur la maladie d’un autre âge. Ces images au réalisme morbide répondaient au fort traumatisme collectif. Le choix de la peste comme thème iconographique relève aussi d’un exercice académique de représentation du corps humain : Raphaël dessina, au début du xvi e siècle, La Peste en Phrygie , Poussin peignit, au siècle suivant, La Peste d’Azdod . Ces artistes, même s’ils ont connu les pestes contemporaines, ne témoignèrent pas de leur époque mais se placèrent dans une démarche plus symbolique, en faisant allusion à la sanction résultant d’une faute – en référence à l’ Énéide pour le premier, à la Bible pour le second –, pouvant indirectement faire écho à leur siècle. La représentation des scènes de peste servit aussi à glorifier certains personnages ou actions héroïques, avec parfois l’arrière-pensée de s’attirer les faveurs d’un protecteur : en 1804, le baron Gros peignit ainsi Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa . Dans ses écrits, Thucydide évoqua la maladie qui frappa les Athéniens au v e siècle av. J.‑C. : « Les lieux sacrés […] étaient pleins de cadavres qu’on n’en- levait pas. La violence du mal était telle qu’on ne savait plus que devenir et que l’on perdait tout respect de ce qui est divin et respectable. Toutes les coutumes auparavant en vigueur pour les sépultures furent bouleversées. On inhumait comme on pouvait. Beaucoup avaient recours à d’inconvenantes sépultures. » (Histoire de la guerre du Péloponnèse.) Même s’il ne décrivait certainement pas la peste, l’historien grec lia l’ampleur de la maladie à la fin d’un monde – le siècle de Périclès. De nombreux écrivains procédèrent de même, faisant de la mala- die un révélateur des temps. Boccace utilisa l’épidémie de peste qui s’abattit sur Florence, en 1348, en arrière-plan de son Décaméron : dix Florentins fuirent la maladie pour se réfugier à la campagne où ils se racontèrent les histoires formant le recueil. Maupassant fit allusion au choléra dans La Peur (1882) ; il mit dans la bouche d’un personnage des propos pouvant s’adapter à toutes les épidémies : « Il faut voir Toulon en ce moment. Allez, on sent bien qu’il est là, Lui. Et ce n’est pas la peur d’une maladie qui affole ces gens. Le choléra, c’est autre chose, c’est l’Invisible, c’est un fléau d’autrefois, des temps passés, une sorte d’Esprit malfaisant qui revient et qui nous étonne autant qu’il nous épouvante. » Taha Hussein témoigna dans Le Livre des jours (1927) de l’épidémie de choléra qui frappa sa famille en 1902 ; aveugle à 3 ans, il évoqua les sensations provoquées par le drame au travers des cris de la mère à la mort de sa fille ou du silence qui suivit la mort du fils. L’épidémie a aussi été utilisée de manière symbolique par certains auteurs. Dans Œdipe roi (vers 430 av. J.‑C.), Sophocle fit de la peste le révélateur du par- ricide et de l’inceste du roi de Thèbes. Lucrèce reprit les sombres descriptions de Thucydide dans son poème La Peste d’Athènes (De natura rerum) , alors qu’il vivait à l’époque troublée des guerres civiles et des proscriptions (i er siècle av. J.‑C.),

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