Épidémie | Escande, Laurent

Épidémie 499 donc de représenter, les vecteurs de la transmission. La perception de la mala- die entra dans un cadre plus scientifique, même s’il fallut plusieurs générations pour que toutes les populations du bassin méditerranéen l’intègrent. Le choléra ou la grippe espagnole n’entraînèrent donc pas les mêmes mouvements ou les mêmes sentiments que ceux provoqués par l’expansion de la peste au Moyen Âge, même si des réflexes de peur demeuraient. La peste était réputée toucher tous les hommes quelle que fût leur condition. Cette assertion doit être nuancée, surtout pour ce qui concerne le déclenche- ment de la maladie. La peste fut d’abord la maladie des pauvres : c’est dans les quartiers malfamés des villes portuaires qu’elle apparaissait. Elle faisait le plus de ravages dans la frange la plus défavorisée de la population des villes puis des campagnes. La maladie y trouvait un terrain propice, dans une population mar- quée par la disette, voire la famine, et par une très mauvaise hygiène corporelle. Les plus aisés, les puissants en particulier, pouvaient se protéger en fuyant. Le même constat concerne de manière plus évidente encore le choléra. La trans- formation des grandes villes, au xix e siècle, sépara spatialement plus encore ceux que l’on appelait, dorénavant, les quartiers bourgeois des quartiers populaires ; la maladie frappait toujours plus brutalement les quartiers les plus misérables. Les autorités des différentes régions ne restèrent jamais inertes face à la maladie. Des mesures empiriques, consistant à isoler les malades, ont toujours été prises. Elles se développèrent progressivement et furent codifiées au fur et à mesure que les autorités urbaines et étatiques se renforçaient : il fallait limiter l’éclosion de la maladie plutôt que de lutter, a posteriori , contre l’expansion du fléau. Au xiv e siècle, les seigneurs de Milan prirent toute une série de mesures pour lutter contre la peste. Bernabo Visconti fit barricader les portes et fenêtres des maisons des pestiférés déclarés ; son successeur Gian Galeazzo Visconti n’au- torisa que la vente d’étoffes préalablement exposées au soleil ou au feu. Gian Maria Visconti ordonna les premières fumigations à base de vapeurs et de par- fums contre les germes mauvais, en liaison avec la théorie antique de la corrup- tion de l’air. Les Italiens innovèrent encore en créant des périodes d’observation : Raguse et Venise imposèrent un isolement de 40 jours (car Hippocrate estimait que le 40 e jour est le dernier possible pour l’apparition de la peste chez l’homme). Ainsi naquirent les quarantaines. Les Italiens construisirent des lieux isolés pour accueillir ces hommes en observation (les lazarets) et créèrent des institutions sanitaires pour administrer ces services ; les autres pays d’Europe les imitèrent. L’enjeu de la protection du territoire et des populations devint donc une affaire d’États. En 1720, un cordon sanitaire de soldats royaux contrôla les commu- nications de la Provence avec l’intérieur du territoire ; les autorités du Comtat firent construire un mur (dit « de la peste ») long de 27 kilomètres pour empê- cher les relations avec la région infectée. La diffusion de la maladie montre que

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