Épices | Bammi, Jamal

Épices 492 Quoi qu’il en soit, la consommation ostensible et massive des épices était un désir ou un idéal profondément ancré dans les sociétés méditerranéennes. Les épices sont bien autre chose que des aliments ou des condiments : aromates, parfums, médications, émanations d’un Orient mythique, elles sont aussi char- gées d’un symbolisme très affirmé. Poudrer un mets de cannelle, relever une sauce avec du poivre, goûter des épices confites, sont des comportements qui vont bien au-delà de simples gestes « techniques » ; c’est toute l’épaisseur sociale et culturelle de ces « gestes » que l’historien doit aussi avoir l’ambition de mettre au jour (Laurioux, 1983). Les alimentations de la région méditerranéenne se sont forgées aux contacts nombreux et variés de cultures lointaines, par le biais des migrations, des impor- tations et du commerce au fil des différentes époques ayant chacune introduit et disséminé leurs épices, leurs goûts et leurs croyances. Bruno Laurioux (1983) a suivi l’évolution de l’utilisation des épices dans l’alimentation médiévale. Il a examiné des manuscrits d’art culinaire et a tiré des résultats documentés sur la place des épices au Moyen Âge. Il rapporte que la cuisine médiévale est carac- térisée par une grande diversité des épices qui la distingue nettement de celles qui l’ont précédée ou suivie. Peterson (1980), comparant Apicius et les traités occidentaux du xiii e -­ xiv e siècle, a bien vu les différences qui les séparaient, notamment en ce qui concerne l’emploi des épices ; il en a conclu que ces traités seraient l’expression d’une révolution culinaire intervenue, en ce tournant même du xiii e -xiv e siècle, sous l’influence arabe (Peterson, 1980, p. 328, cité par Laurioux, 1983, p. 21). Un changement fondamental marque la relation de la Méditerranée contem- poraine avec le monde des épices. Ce sont ces changements qu’il faudrait cerner et comprendre pour mettre en exergue un aspect significatif de la relation nature- culture. Dans ce qui suit, je me limiterai aux épices au Maroc, pour mettre en relief quelques aspects des transformations culturelles qui ont influencé la rela- tion des Marocains, et des Maghrébins en général, avec les épices . Dans la cui- sine marocaine, interviennent divers ingrédients, qui ne sont pas des épices au sens historique du terme mais des plantes agissant comme correctifs, comme agents de prévention ou de rééquilibrage tout comme d’autres substances peuvent agir comme additif alimentaire (conservateur, acidifiant, épaississant, améliorateur de cuisson, etc.). On voit donc que ces substances sont destinées à donner non pas un apport nutritionnel, mais un plus d’ordre thérapeutique. Elles sont censées agir comme toniques, réchauffants, compléments alimen- taires ou même aphrodisiaques. Parmi ces correctifs, on peut citer le carvi qui corrige les ballonnements éventuellement causés par la harira (la soupe maro- caine traditionnelle), l’origan ajouté à la purée de concombre contre les putré- factions intestinales et le cumin et la coriandre pour corriger les ballonnements

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