Empires coloniaux | Rappas, Alexis

Empires coloniaux 477 a rapidement révélé trois problèmes majeurs. Premièrement, il repose sur un postulat téléologique puisque l’indépendance des pays colonisés, aboutissant à la création d’États-nations, constitue le point concluant d’une « période colo- niale » identifiable en tant que telle et censée commencer avec la conquête. Cette chronologie linéaire réactive, deuxièmement, les prétentions « civilisatrices » du colonisateur, puisque seuls les intellectuels ayant été formés sous l’ordre colo- nial, et maîtrisant le langage et les codes de ce dernier, sont jugés aptes à réa- gir. Enfin, cette concentration sur la résistance politique des élites locales s’est faite au détriment des réactions mais également du quotidien des sujets colo- niaux « ordinaires ». Le point d’achoppement de l’histoire économique du colonialisme dérive de la notion problématique de « mise en valeur » des colonies et des coûts et béné- fices (costs and benefits of colonialism) de cette dernière pour leurs métropoles. Cette historiographie opérait au sein d’une typologie assez proche de celle élabo- rée par les autorités coloniales ou les avocats du colonialisme eux-mêmes, distin- guant les colonies selon des critères d’utilité économique (colonies de plantation, d’exploitation, de peuplement), et de fonction géopolitique (colonies forteresses) au sein d’empires coloniaux distincts. La mise en valeur de ces colonies, dont la fonction était censée dépendre de leurs ressources naturelles ou de leur empla- cement géographique, était mesurée à l’aune des méthodes d’administration des puissances coloniales et l’on opposait ainsi l’administration « directe » française, laissant peu d’initiative aux élites locales, à l’administration « indirecte » (indi- rect rule) britannique, déléguant une partie du pouvoir à des « chefs tradition- nels » cooptés. Dans sa version marxiste (1960‑1980), cette historiographie a eu le mérite de divulguer les conséquences à long terme de la mise en place d’une économie coloniale reposant sur l’expropriation foncière et un commerce asymé- trique entre colonies (fournissant matières premières et main-d’œuvre) et métro- pole (qui, par exemple dans le cadre du « pacte colonial » français, conservait les fonctions de monopole et de monopsone des colonies). Dans sa version plus polémique, cette historiographie a alimenté la thèse selon laquelle les colonies ont été financièrement plus coûteuses que profitables aux métropoles. Parce qu’elle réduit la question du « coût » de la colonisation à une valeur comptable, cette thèse a pu être utilisée à des fins beaucoup plus politiques que scientifiques, par exemple dans le cadre du débat sur le « rôle positif de la colonisation » en France. Si la question des effets économiques de la colonisation reste capitale, elle est de nos jours plus volontiers abordée à partir de l’argumentaire élaboré par les acteurs historiques eux-mêmes (gouvernants, hommes d’affaires, intellectuels et faiseurs d’opinion), dans lequel se mêlent presque toujours des considérations d’ordre économique, politique, moral, voire démographique, pour justifier la colonisation des rives sud et orientale de la Méditerranée.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=