Empire | Grenet, Mathieu; Rappas, Alexis

Empire 467 ses possessions « historiques » des Balkans et d’Anatolie, assorties de la pénin- sule Arabique, de l’Égypte et (nominalement du moins) des régences d’Afrique du Nord, mais également une partie de l’Europe centrale (Budapest, Belgrade), l’ancienne région de Mésopotamie jusqu’au golfe Persique, ainsi que l’ensemble du pourtour de la mer Rouge. Si chacun de ces empires constitue à son époque la principale puissance hégémonique dans le bassin méditerranéen, on notera qu’à l’exception des cas romain et byzantin leur géographie ne se limite pas au seul pourtour de la mer Intérieure. De fait, le « barycentre » de nombre d’entre eux se situe en réalité au Proche-Orient, dans la péninsule Arabique, voire en Perse. Cette observation invite en retour à réexaminer de plus près l’épithète de « méditerranéens » parfois accolée à certains empires, et qui participe de leur constitution historiographique dans une perspective euro-centrique de l’histoire méditerranéenne. Ainsi de l’Empire ottoman, dont la construction en « Autre » politique et confessionnel de l’Europe chrétienne a conduit les historiens à négli- ger sa longue et durable expansion orientale, en direction de l’océan Indien, de la Chine et de l’archipel indonésien. Parallèlement à la nécessaire problémati- sation de la catégorie même d’« empires méditerranéens », il convient enfin de tenir compte de la multitude d’empires en Méditerranée, ainsi que de ceux qui, bien que n’y disposant que d’une faible emprise territoriale, se dotent d’une véri- table « politique méditerranéenne » – c’est par exemple au xviii e siècle le cas de l’Angleterre, de la Russie ou encore de l’empire des Habsbourg. Une seconde modalité de l’idée d’empire en Méditerranée est celle de la fron- tière impériale. Par son étendue comme par sa situation au contact de trois conti- nents (Europe, Asie et Afrique), le bassin méditerranéen a souvent été perçu comme une interface « naturelle » entre différents empires. Cette observation appelle pourtant deux commentaires. Tout d’abord, l’espace méditerranéen ne constitue souvent qu’un des théâtres d’une rencontre impériale qui se joue simultanément sur plusieurs fronts : en témoigne, à l’époque moderne, le cas des contacts vénéto-ottomans, dans lesquels l’historiographie a longtemps voulu ne voir qu’un phénomène exclusivement maritime, avant que les histo- riens des provinces balkaniques ne dévoilent l’importance, la fréquence et la richesse des contacts terrestres. Aux siècles suivants, le cas anglais (ainsi que, dans une moindre mesure, le français) incarne de manière paradigmatique l’im- portance de la dynamique coloniale dans cette démultiplication des lieux de la rencontre impériale. D’autre part, le modèle de la Méditerranée comme inter- face inter-impériale « par excellence » est historiquement lié à une conception fortement essentialiste de la question impériale (souvent prise dans un rapport métonymique à la notion de « civilisation »), ainsi qu’à une lecture « giganto- machique » des rapports entre empires. À la remarquable exception des travaux de Fernand Braudel, l’historiographie classique de la Méditerranée à l’époque

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