Empire | Grenet, Mathieu; Rappas, Alexis

Empire 466 C’est tout d’abord le vieux fantasme de l’unification politique de la mer Intérieure, dont l’ensemble des rives serait contrôlé par un seul État – un pro- jet dont l’indéniable puissance (carto-)graphique, voire symbolique, a souvent oblitéré les enjeux géostratégiques réels. Une fois encore, c’est le modèle romain qui sert ici de référence : au moment de son expansion maximale, l’Empire de Trajan (98‑117 apr. J.‑C.) contrôle ainsi l’ensemble des régions bordant la Méditerranée – à la seule exception d’une partie de la rive septentrionale de la mer Noire (Pontus Euxinus) . Si la partition territoriale de l’Empire romain marque la fin de ce qui reste l’unique épisode de domination impériale à l’échelle de la Méditerranée tout entière, le projet d’unification pan-méditerranéenne n’en exercera pas moins une fascination durable sur les prétendants à la renovatio imperii Romanorum : en témoigne la réactivation, en plein xx e siècle, du concept de Mare Nostrum , axe idéologico-stratégique central de la « politique médi­ terranéenne » de l’Italie fasciste. Mêmes complexes, les liens entre ces visées poli- tiques et l’historiographie alors naissante de «  la Méditerranée » apparaissent évidents : vingt-deux ans avant la somme braudélienne, l’une des premières tentatives de saisie globale de l’histoire méditerranéenne est l’œuvre de l’histo- rien italien Pietro Silva, qui publie une imposante somme sur La Méditerranée, de l’unité de Rome à l’unité d’Italie ( Il Mediterraneo, dall’unità di Roma all’unità d’Italia , Milan, A. Mondadori, 1927). Réédité pendant la Seconde Guerre mon- diale, l’ouvrage au ton très nationaliste arbore désormais un nouveau sous-titre, plus en phase avec le mimétisme affiché du projet mussolinien envers le précédent romain : La Méditerranée, de l’unité de Rome à l’empire italien ( Il Mediterraneo, dall’unità di Roma all’impero italiano , Milan, Istituto per gli studi di politica internazionale, 1941). Qu’ils se réclament ou non de la renovatio imperii , plusieurs empires par- viennent par ailleurs à asseoir leur suprématie sur une partie non négligeable du bassin méditerranéen. Dès avant l’épisode romain, c’est ainsi le cas de l’Empire achéménide de Darius I er (521‑486 av. J.‑C.), puis de son « successeur », l’Empire macédonien d’Alexandre le Grand (336‑323 av. J.‑C.). Reprenant à son compte la rhétorique de la renovatio imperii , l’Empire byzantin s’étend, sous Justinien (527‑565), jusqu’aux Alpes et à l’actuelle Algérie, et se prolonge même jusqu’en Espagne avec la province de Bétique. Ainsi également de l’Empire arabe, dont le territoire, sous le califat omeyyade puis abbasside (viii e siècle), comprend l’ensemble de la rive méridionale de la Méditerranée, des Pyrénées à la Cappadoce, et se prolonge à l’est, via l’Arabie et la Perse, jusqu’aux fron- tières de l’Inde actuelle. Huit siècles plus tard, c’est au tour de l’Empire otto- man de faire planer sur la Chrétienté la menace d’une unification politique du bassin méditerranéen sous la férule d’un prince musulman : jusqu’à sa défaite à la bataille de Vienne (1683), l’Empire ottoman contrôle ainsi non seulement

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