Empire | Grenet, Mathieu; Rappas, Alexis

Empire 463 langue administrative, imitent-ils l’organisation étatique byzantine en matière de collecte centralisée d’un impôt servant à financer une bureaucratie impériale et militaire. Ce sont les sultanats turcs qui, les premiers parmi les États musul- mans, empruntent à partir du xi e siècle et de manière explicite la grammaire et la symbolique de l’Empire romain d’Orient. À la suite de la conquête de l’Anatolie byzantine par Alp Arslan (1064‑1072), les Seldjoukides se retrouvent à la tête de ce qu’ils désignent comme « Sultanat de Roum » ( Rum Sultanlığı , 1077‑1307) dont l’appellation même, qui renvoie à la « Romanie » – soit les terres habitées par les Romains –, témoigne d’une hybridation tant des concepts que des insti- tutions politiques en Méditerranée orientale. Bien plus tard, le sultan Mehmet II « Fatih » (1451‑1481) revendique le titre de « césar des Romains » (Kayser-i Rûm) à la suite de la prise de Constantinople (1453), s’inscrivant ainsi dans la généa- logie politique romaine précédemment évoquée. À l’apogée de l’Empire otto- man, au xvi e siècle, Soliman le Magnifique s’obstine à désigner comme simple « roi » (kral) son rival Charles Quint, s’arrogeant ainsi l’exclusivité du titre d’empereur (çesar). À cette même époque, dans le cadre de la rivalité ottomano-­ habsbourgeoise, on fait appel aux services d’artistes vénitiens afin de traduire et inscrire les prétentions impériales ottomanes dans un discours artistique et scripturaire « occidental ». L’apparat du sultan, tout en soulignant la magnifi- cence du souverain, est censé lui conférer une « impérialité » reconnaissable en tant que telle par ses rivaux ou simplement ses interlocuteurs chrétiens. Ainsi les notions d’« empire » et d’« empereur » en Méditerranée intègrent-­ elles à partir du xvi e siècle une économie de l’autoreprésentation dans le cadre de rivalités entre dynasties expansionnistes. Marquant une distance par rapport à leur strict référentiel religieux, mais réactivant de manière symbolique et dis- cursive la grammaire impériale romaine, ces concepts traduisent une ambition plus que la réalité d’un pouvoir supposé universel. Si l’empereur est le « roi des rois », son « empire » s’exerce en principe sur le monde ; dans les faits, un empe- reur est reconnu comme tel par ses sujets et ses rivaux lorsqu’il exerce une souve- raineté efficace sur des populations culturellement et linguistiquement distinctes les unes des autres. Le statut, les droits, privilèges et obligations de ces dernières sont déterminés selon un gradient de proximité culturelle avec le pouvoir cen- tral. On peut souligner que ces deux caractéristiques – une projection universa- liste et l’impératif d’une gestion de la différence culturelle – sont les seules que partagent les empires de l’époque moderne. Sous les Habsbourg, les politiques d’uniformisation culturelle à travers la marginalisation, l’expulsion ou la conver- sion forcée au catholicisme des juifs et des musulmans ibériques, mais également des populations indigènes en Amérique et en Asie, sont censées servir une plu- ralité d’objectifs. Elles confirment le rôle de l’empereur comme protecteur de la foi catholique dans un contexte de guerres de Religion en Europe. Elles visent

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