Empire | Grenet, Mathieu; Rappas, Alexis

Empire 469 voire belliqueuses de l’« entre-deux impérial » : s’il était illusoire de prétendre en donner un inventaire exhaustif, on pense pour la période moderne à la floraison de travaux consacrés à la piraterie et à la « guerre de course », à l’esclavage, ou encore aux conversions (libres ou contraintes) en Méditerranée. Une dernière variation sur cette problématique de l’« entre-deux » en Méditerranée concerne enfin les liens entre phénomènes migratoires et donne impériale. À l’évidence, l’ensemble des migrations méditerranéennes ne met pas en présence des empires, mais un ensemble disparate d’espaces politiques, géographiques et culturels – depuis les États jusqu’aux « pays », en passant par les provinces, les régions, etc. Pourtant, nombre de ces mobilités intéressent la question impériale, dans la mesure où celle-ci informe et accompagne la donne migratoire bien au-delà de la seule migration. Alors que l’historiographie clas- sique des fameuses « diasporas marchandes » de l’époque moderne (juifs, Grecs et Arméniens) a largement constitué ses objets en autant de hors-lieu des pro- blématiques politiques et juridiques, les études diasporiques ont récemment pointé l’importance du marqueur impérial – ottoman, habsbourgeois, vénitien, russe ou autre – parmi ces populations établies en dehors même du territoire res- pectif de ces empires. S’il convient bien entendu de ne pas réifier ce marqueur identitaire, le constat même d’un découplage géographique et chronologique entre notion d’« impérialité » et territoire impérial apparaît ici des plus fertiles. Outre une appréciation plus fine des effets du lien politique impérial sur l’en- tretien et la survie des communautés en Méditerranée, ce constat permet ainsi de mesurer le rôle des « cultures d’empire » dans la survie d’ethnies, de langues et de coutumes locales, un phénomène jusqu’ici souvent appréhendé négative- ment du seul point de vue des États-nations. Au tournant des années 1980 et 1990, l’afflux massif vers la Grèce des Grecs dits « pontiques » (soit les descen- dants des populations hellénophones installées sur le pourtour de la mer Noire) a ainsi conduit à un profond réexamen de la subtile dialectique intégration/dif- férentiation à l’œuvre dans la gestion par l’Union soviétique de certaines de ses minorités ethniques et culturelles. Dans ce qui peut apparaître comme une rupture saisissante avec l’héritage braudélien, la récente somme majeure de Peregrine Horden et Nicholas Purcell semble reléguer la notion d’empire à la portion congrue de la « nouvelle tha- lassologie » défendue par les deux auteurs. Plus qu’un encouragement à penser l’histoire de la Méditerranée « hors des empires », cet effacement semble tra- hir un certain inconfort de l’historiographie récente face à une notion long- temps considérée comme heuristiquement intimidante, voire idéologiquement compromettante. Pourtant, la résilience même du terme « empire » d’une rive à l’autre de la Méditerranée – mais également « sur » la Méditerranée, si l’on songe par exemple au droit maritime – rend vaine toute tentative de simplement

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