Empire | Grenet, Mathieu; Rappas, Alexis

Empire 468 moderne a longtemps insisté sur cette dimension conflictuelle avec, semble-­ t‑il, une préférence marquée pour les affrontements entre empires chrétiens et musulmans. Dès 1937, Henri Pirenne avançait ainsi la thèse d’un essor caro- lingien en Europe en réponse à la « fermeture » de la Méditerranée provoquée par l’islam naissant. Quarante ans plus tard, Andrew Hess tentait de ressusciter la « frontière oubliée » entre Espagne et Empire ottoman – comprendre entre « civilisations » chrétienne et islamique. Et il n’est que de parcourir la volu- mineuse littérature consacrée aux croisades ou encore à la bataille de Lépante (1571) pour comprendre combien le modèle du « choc des empires » n’est sou- vent qu’une métaphore à peine voilée de celui du « choc des civilisations ». Cette double remarque ne saurait aucunement conduire à disqualifier a priori toute tentative de saisie d’une « frontière impériale » en Méditerranée. Elle pointe au contraire la nécessité d’une saisie fine de ce qui apparaît comme une inter- face labile et polysémique : à la nécessaire réflexion sur la typologie des figures de rencontre, de coopération et de conflit en Méditerranée, s’ajoute ainsi une attention portée aux modalités mêmes de la rencontre impériale, en fonction des contextes locaux et des acteurs en présence. Troisième modalité de l’idée d’empire en Méditerranée, celle de l’« entre-­ deux » recoupe sans la recouvrir la thématique de la frontière. Il s’agit moins ici de délimiter et de travailler une zone de liminalité interimpériale, que de sai- sir les dynamiques de contact et d’échange entre empires, au sein de ce que l’on a pu qualifier de continuum méditerranéen. Les orientations récentes de l’his- toriographie de la Méditerranée moderne témoignent de la richesse de cette problématique – illustrée en particulier par la floraison d’études ciblées sur les trajectoires individuelles ou collectives de « passeurs » et d’« intermédiaires » d’une rive à l’autre de la Méditerranée. De manière significative, l’adoption de stratégies de recherches privilégiant une approche à la fois « micro » et fortement localisée, a également conduit certains historiens à interroger la pertinence heu- ristique de la notion même d’« empire » – d’abord comme échelle d’analyse, puis comme référentiel politique des acteurs historiques eux-mêmes. Si l’objection reste pleinement recevable, la problématique des contacts et des circulations dans l’espace méditerranéen ne saurait s’abolir dans une simple liste – aussi longue soit-elle – d’études de cas individuels. Les travaux portant sur des groupes plus larges et également engagés dans ces mêmes dynamiques ont en effet pointé l’im- portance de la notion d’« empire » dans l’appréhension même de leur objet. Le cas récemment étudié des « drogmans » (du nom de ces interprètes profession- nels au service des Européens au Levant) constitue un bon exemple d’« enquête sur l’empire » menée depuis un observatoire que l’on pourrait qualifier d’« entre-­ deux impérial ». Mais à rebours de l’interculturalité globalement pacifiée des pas- seurs culturels, s’inscrivent également de nombreuses formes plus antagoniques,

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