Échelles du Levant | Buti, Gilbert; Raveux, Olivier

Échelles du Levant 438 de l’Inde, soies brutes du Gilân ensuite, et moka du Yémen à partir de la fin du xvii e siècle. Les produits locaux entrent également dans la composition des car- gaisons levantines : cendres et huiles d’olive (pour les savonneries marseillaises), peaux et cuirs, noix de galles et autres matières tinctoriales, céréales (blé et riz), poils de chèvre, plumes d’autruche, lin et surtout coton, en tissu (en indienne ou écru), en graine ou filé. Les importations consistent en divers produits manu- facturés parmi lesquels se trouvent le corail, les montres, les miroirs, le papier et surtout les draps de laine, les « londrins » premiers et seconds, qui composent des balles de « bon assortiment » aux couleurs et à la qualité recherchées par les consommateurs locaux. Dans les transactions, le recours aux Levantins est essen- tiel ; le marchand européen, qui doit respecter les usages et la langue, connaître les monnaies et les mesures, a souvent recours à un censal ou courtier, turc, maure, arménien ou juif, et aux services du drogman. La cargaison peut être vendue contre espèces à des grossistes du bazar local, ou négociée en valeur d’échange avec les marchands caravaniers, ou encore, en association avec un troqueur, en échangeant la cargaison contre un équivalent en marchandises disponibles ou à rassembler, l’opération de troc devient alors une vente à terme. Les Européens ont tenté de se passer des intermédiaires locaux qui connaissent les rouages des échanges, savent les besoins des Occidentaux, imposent leurs prix, spéculent, mais facilitent la « traite » des marchandises prohi­ bées de sortie moyennant bakchichs. Le volume des échanges n’est certes pas considérable. Ainsi, à Marseille, le Levant n’occupe que 15 % des navires pour moins de 20 % du tonnage. En revanche, en termes de valeur, ce commerce est très important et représente à lui seul près de 30 % du mouvement global des échanges maritimes à Marseille à la fin du xviii e siècle. Cependant, les ventes européennes ne couvrent qu’une partie des achats ; ce déséquilibre des échanges, décrit dès le xvii e siècle par Jacques Savary dans son Parfait Négociant (1675), reste effectif à la fin du siècle suivant : ainsi, en 1789, Marseille importe des Échelles du Levant pour 40 millions de livres et n’exporte que pour 23 mil- lions. Aussi, l’équilibre des échanges n’est possible qu’avec un complément en numéraire proposé sous la forme de piastres d’Espagne, de thalers d’argent de Marie-Thérèse ou d’écus de la reine de Hongrie appelés talari par les contem- porains. Essentiel pour la vie économique de l’Empire, cet apport d’argent tra- duit localement la domination européenne. Ayant facilité les échanges entre l’Occident et l’Orient, les échelles favorisent, au xviii e siècle, la pénétration éco- nomique des Européens dans le monde ottoman. À partir de ce moment-là, les termes de l’échange international se dégradent pour les Orientaux, à mesure que la part des matières premières et des produits semi-finis dans les exportations s’accroît au détriment des biens manufacturés (les soies brutes ont remplacé les

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