Échanges commerciaux (Epoque moderne) | Salvemini, Biagio

Échanges commerciaux 430 la qualité de la marchandise pour éviter de payer les droits de douane – non seu- lement largement adoptées, mais aussi, dans un certain sens, officialisées et insti- tutionnalisées. Il ne s’agit pas de l’éternelle dialectique entre normes et pratiques. L’interventionnisme des pouvoirs sur les trafics maritimes produit des blocages institutionnels qui finissent par affaiblir la capacité contraignante des normes. Les machines institutionnelles ne constituent pas un cadre sécurisant ; celles-ci font partie du quotidien du marché et de ses pratiques commerciales. Les grands négo- ciants comme les micro-entrepreneurs maritimes construisent des routes et savoirs dans un corps à corps quotidien avec un enchevêtrement de lois et d’institutions. Déséquilibre des flux, déséquilibre des normes, pluralité des acteurs et de leurs pratiques font partie du même cadre, dans lequel une large place est faite à des formes d’échange transversales, inégales, transculturelles : le jeu du commerce et du rachat de captifs des deux rives ; la caravane provençale qui, au lieu de présenter aux infidèles, comme dans la navigation escortée du xv e siècle vénitien, le visage renfrogné de la civilisation chrétienne en protégeant les navires « ronds » avec les galères militaires, introduit ses patrons, totalement désarmés, dans les moindres recoins de la côte ottomane, en contribuant à résoudre l’insuffisance des moyens de transport maritime de la Sublime Porte. Et sous les yeux du pape et des Rois Catholiques ou Très Chrétiens, des flottes de minuscules navires menées par de petits marchands chrétiens transportent année après année, d’un bout à l’autre de la Méditerranée, des milliers de disciples de Mahomet se dirigeant vers La Mecque : sans leurs services, les musulmans duMaroc et des régences barbaresques auraient eu bien du mal à s’acquitter de ce rite important prescrit par leur Dieu. Ces récits pluriels prolongeraient-ils donc l’apologétique du xviii e siècle du commerce en tant que pratique irénique et civilisatrice, venant adoucir les mœurs et entraînant un bonheur public ? L’histoire de l’un des lieux symbo- liques des échanges méditerranéens, Venise, suffirait à démentir cette hypothèse, elle qui, durant des siècles, s’est engagée à commercer avec les musulmans tout en les combattant dans des guerres prolongées et sanglantes ; ou, sur un autre plan, l’histoire des Juifs vendant des marchandises et prêtant de l’argent aux chrétiens entre deux pogroms. La longue histoire de la Méditerranée se déroule sur des plans souvent divergents. Comme le soulignait la théologie scolastique, l’échange commercial a tendance à segmenter les relations entre les personnes : le contrat engage l’individu dans les limites des éléments négociés, sans créer de relations d’autre type. Le fait d’échanger des marchandises n’empêche pas, en règle générale, de haïr ceux avec qui l’on réalise l’échange. Le commerce peut être une chose très positive. Quant aux bonnes mœurs, elles devront toutefois être poursuivies à travers d’autres chemins. Biagio Salvemini

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