Échanges commerciaux (Epoque moderne) | Salvemini, Biagio

Échanges commerciaux 429 locaux. Les muletiers rencontrés par Don Quichotte sont souvent accusés d’être des agents de ce bouleversement du « bonheur public ». Cette image de déséquilibre des flux doit être comparée à un autre élément fon- damental du grand récit : l’image d’ordonnancement des pouvoirs, même s’il est souvent violent et conflictuel. La Méditerranée n’a rien à voir avec l’idée de Mare Liberum proposée par Hugo de Grott au début du xvii e siècle. À la différence des océans, qui étaient des mondes sans frontières et sans loi, la Méditerranée a souvent été conçue comme un « territoire » ; et, en tant que tel, son moment de plénitude, sur le plan de la civilisation comme sur celui des trafics, a été rap- porté aux siècles où la mer était nostrum , car clausum , entourée d’un anneau de terres caractérisé par une domination et une civilisation homogène : les siècles de l’Empire romain. Avant et après, elle se présente comme un territoire mar- qué par de gigantesques dualismes de dominations et de civilisations : Grecs et Barbares, chrétiens et musulmans, Européens et Ottomans, habitants de la rive nord et ceux de la rive sud. Il en ressortira des rivalités irréductibles qui se sont répercutées sur le plan économique en entravant le développement des trafics, ou même, comme le suggère le livre célèbre d’Henri Pirenne (1937), en provo- quant le repli rural et féodal du haut Moyen Âge européen. Cette image d’un jeu binaire est démentie par les études de ces dernières décennies. Les acteurs institutionnels bâtissent des alliances politiques et des Capitulations commerciales tous azimuts – les rois de France, tout en se targuant de la dénomination de Très Chrétiens, étaient particulièrement enclins au pacte impie avec les infidèles ottomans. Mercantilismes et protectionnismes de tout type produisent des normes et institutions de droit commercial, maritime et de la navigation, suivant peu les logiques du droit romain. Étant donné l’incertitude des frontières, ils ont une validité plus subjective que territoriale et incluent, qui plus est, des moyens d’affaiblir leur nature coercitive. Il suffit de se référer à la question toujours brûlante du « droit de visite », c’est-à‑dire la tentative systé- matique d’empêcher les officiers du pays avec lequel on commerce de visiter les cales de ses navires marchands, pour permettre en réalité des opérations que les accords qualifient d’« illicites ». Ainsi, du monde institutionnel, la promotion de son « commerce actif » – entendu comme solde positif de la balance commerciale, contrôle de la navigation et échange de produits manufacturés contre des den- rées – descend souvent au niveau de l’action quotidienne de consuls, douaniers, officiers chargés de la santé maritime : les archives pullulent de plaintes virulentes pour les harcèlements réciproques, plutôt que pour l’iniquité des normes écrites. Dans ce contexte, le concept de fraude commerciale doit être revu. Le mot « contrebande », très répandu dans la langue des échanges méditerranéens, se réfère à un ensemble de pratiques – de l’utilisation des drapeaux multiples à la fréquen- tation des « ports ruraux », en passant par les fausses déclarations sur le poids ou

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